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Le professeur Bertrand Warusfel, dans une intervention qu’il a présentée
devant l’Académie du renseignement (1), revient sur la raison pour laquelle la loi
est essentiellement tournée vers les moyens de renseignement de nature
technologique. La loi de 2015, nous dit-il, « a pris le parti de ne viser et encadrer
que des moyens de renseignement de nature technologique. (…) Ce primat des
sources techniques a plusieurs origines. D’une part, on assiste dans le domaine
spécifique du renseignement au même phénomène de " numérisation " que dans
tous les autres secteurs d’activité publique ou privée. (…) Mais à cette révolution
numérique en marche tout autour de nous, s’ajoute une incitation particulière à
numériser le renseignement qui découle, à notre sens, du primat de la lutte
antiterroriste qui s’est imposée dans la dernière décennie comme la mission
prioritaire de l’actuelle communauté du renseignement. C’est en effet
l’antiterrorisme qui, en accroissant très fortement le nombre de cibles potentielles
à surveiller, a poussé les services intérieurs (et non plus seulement extérieurs) à
vouloir recourir massivement aux moyens de surveillance électronique, alors que
traditionnellement le renseignement humain était la pratique dominante des
services tels que la DST ou les RG. »
Si la loi a été rédigée de manière à pouvoir s’adapter aux évolutions
technologiques, il est indéniable que plusieurs d’entre elles ont ou auront des
incidences sur le cadre d’intervention des services de renseignement.
Le premier enjeu technologique est celui de l’explosion de la quantité
de données captées, défi auquel devrait permettre de répondre ce qu’il est
convenu d’appeler « l’intelligence artificielle » (IA), outil indispensable à
l’ensemble des ministères régaliens, et en particulier aux services de
renseignement. Le recours à la multiplicité des outils de l’intelligence artificielle
suppose « d’entraîner les machines », ce qui soulève la question des modalités de
conservation des données nécessaires, en masse, pour permettre cet entraînement
(A).
Le deuxième enjeu concerne l’évolution des télécommunications. D’une
part, le déploiement en cours et progressif de la cinquième génération de
standards de télécommunications mobiles, la 5G, est de nature à remettre en
cause l’usage de techniques de renseignement telles que l��IMSI-catcher. D’autre
part, on assiste à un développement du chiffrement des communications qui
complique l’activité des services de renseignement (B).
Troisième enjeu d’ordre technologique, celui de la reconnaissance
biométrique qui connaît un essor important depuis une dizaine d’années et qui
soulève de nombreuses questions de libertés publiques. Cet outil, déjà utilisé dans
certains domaines, nécessiterait un certain encadrement juridique mais aussi des
ajustements techniques avant de pouvoir, le cas échéant, être exploité par les
services de renseignement (C).
(1) In « Entre légitimation et contrôle : les logiques de l’encadrement juridique du renseignement », Le droit
du renseignement, L’Académie du renseignement, pp. 75 sq.