10. Contrôle préalable
Par les dispositions du code de la sécurité intérieure édictées par la présente loi, le
législateur entend donner un cadre juridique aux activités des services de renseignement.
Or, en ne soumettant pas l’activité de ces services au contrôle préalable d’une juridiction,
il a échoué à prévoir la garantie exigée par la Constitution (section 10.1 page suivante)
pour assurer l’équilibre nécessaire entre les atteintes aux droits et libertés fondamentaux
qu’il autorise (section 10.2 page 87) et les objectifs qu’il poursuit 1 .
À cela s’ajoutent des imprécisions affectant le contrôle des autorisations des mesures
de renseignement (section 10.3 page 94) et l’insuffisance des garanties apportées aux
professions dont le secret est protégé (section 10.4 page 97).
À titre préliminaire, deux remarques s’imposent.
Premièrement, comme cela a déjà été relevé (chapitre 3 page 15), les moyens mis en
œuvre par la présente loi sont en décalage complet avec les objectifs qu’elle vise. Non
seulement la mise en place de procédés de renseignement ne saurait être justifiée pour
l’ensemble des comportements visés mais, qui plus est, l’accomplissement de certains
objectifs visés par le législateur ne nécessite en aucune manière l’absence de contrôle
juridictionnel a priori.
Deuxièmement, il est à reconnaître qu’en s’engageant sur la voie d’un contrôle juridictionnel seulement a posteriori et qui plus est on ne peut plus lacunaire par le Conseil
d’État (voir infra, chapitre 11.3 page 112), la France est particulièrement isolée au sein
des démocraties modernes. Comme le relevait le Conseil d’État dans son étude annuelle
pour l’année 2014, les États-Unis ont par exemple institué une cour spécialisée et habilitée secret défense permettant d’assurer un contrôle extérieur à l’administration sur
les mesures mises en place par elle. Le fait que cette Cour n’ait pas empêché la collecte
illicite de données par la NSA, reconnue comme telle par une Cour fédérale des ÉtatsUnis, ne doit pas conduire à la conclusion que l’intervention d’une juridiction a priori ne
permettrait pas d’assurer la garantie des droits. Si le système mis en place aux ÉtatsUnis s’est montré défaillant, c’est notamment en ce que les termes de la loi elle-même
ont institué un contrôle lacunaire, incompatible avec les garanties élémentaires du droit
au procès équitable, prévoyant des dérogations au droit commun excédant largement la
stricte nécessité liée au secret de la défense nationale 2 .
1. Pour rappel, l’absence de contrôle préalable des mesures de surveillance internationale fait l’objet
de développements à la section 9.3.2 page 74.
2. Voir les problèmes similaires posés par la procédure contentieuse créée par la présente loi, chapitre 11.3 page 112.
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