Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme
mais été révélées, il ne serait pas possible à la Cour de chercher à mettre en
balance l’intérêt public à une non-divulgation des éléments litigieux et l’intérêt de l’accusé à se les voir communiquer. Aussi la Cour doit-elle examiner
si le processus décisionnel a satisfait dans toute la mesure du possible aux
exigences du contradictoire et de l’égalité des armes et s’il était assorti de garanties aptes à protéger les intérêts de l’accusé.
54. Le 14 janvier 1994, peu avant que ne s’ouvre le procès du requérant, l’accusation saisit le juge d’une requête unilatérale tendant à voir reconnaître
une immunité d’intérêt public la dispensant de communiquer certains éléments en sa possession. La défense fut avisée qu’une requête allait être introduite mais ne fut pas informée de la catégorie dont relevaient les éléments
que l’accusation souhaitait ne pas devoir divulguer. Elle se vit donner l’occasion d’exposer au juge les grandes lignes de son argumentation, qui
consistait à dire que le requérant avait pris livraison de la cargaison de
viande conformément à des instructions reçues par téléphone la nuit précédente et qu’il ignorait que la viande contenait du cannabis, et elle invita le
juge à ordonner la divulgation de toutes preuves se rapportant à ces faits allégués. Le juge examina les éléments en question et décida qu’ils ne devaient
pas être divulgués. La défense ne fut pas informée des motifs étayant cette
décision.
55. La Cour considère que la défense a été tenue informée et a eu l’occasion
de formuler des observations et de participer au processus décisionnel autant
qu’il était possible sans que lui fussent divulgués les éléments de preuve que,
pour des motifs d’intérêt public, l’accusation souhaitait ne pas devoir communiquer. S’il est vrai que, dans un certain nombre de contextes différents,
le Royaume Uni a introduit ou est en train d’introduire un système prévoyant
l’intervention d’un « avocat spécial », la Cour considère que pareille procédure n’était pas nécessaire en l’espèce. Elle relève en particulier que l’accusation ne s’est en l’occurrence nullement prévalu des éléments non
divulgués, lesquels n’ont au demeurant jamais été portés à la connaissance
du jury. Cette situation doit être distinguée de celles auxquelles les lois de
1997 1 et 1998 2 entendaient porter remède, à savoir celles où les décisions
attaquées se fondaient sur des éléments aux mains de l’exécutif qui
n’avaient jamais été soumis aux juridictions de contrôle.
56. Le fait que la nécessité d’une divulgation fut à tout moment sujette à
l’appréciation du juge fournit une garantie supplémentaire importante, dès
lors que le magistrat avait l’obligation de vérifier tout au long du procès que
la non-divulgation des preuves n’était pas contraire à l’équité. Nul n’a prétendu que le juge n’était pas indépendant et impartial, au sens de l’article 6 §
1. Il avait une parfaite connaissance de l’ensemble des preuves et questions
soulevées par l’espèce et, tant avant que pendant le procès, il s’est trouvé en
1) Ndr : loi sur la commission spéciale de recours en matière d’immigration (Special
Immigration Appeals Commission Act)
2) Ndr : loi sur l’Irlande du Nord (Northern Ireland Act)
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