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Bertrand Warusfel, dans sa thèse de 1994 consacrée au secret de la défense
nationale, soulignait les dérives constatées en la matière dans l’histoire des États
modernes : « Aux États-Unis, peu d’années après la guerre d’Indépendance et la
mise en place de la Constitution, George Washington en personne refusa de
fournir à la chambre des Représentants des documents relatifs au traité signé avec
l’Angleterre en 1794. En France, durant la monarchie de Juillet, c’est Guizot qui
livre aux chambres de fausses correspondances diplomatiques lors de l’épisode
des " mariages espagnols " en 1847. En Grande-Bretagne, à la fin du
XIXème siècle, le gouvernement utilisait un système de double correspondance, ce
qui faisait que deux dépêches portaient souvent le même numéro, ce qui permettait
de soustraire au contrôle du Parlement les rapports secrets. » (1)
Avec la montée en puissance de la démocratie parlementaire, les choses
ont cependant évolué dans un sens positif. Comme le constatait Marc Guillaume
en 2001 (2), l’exécutif est amené « de manière permanente ou dans des
circonstances exceptionnelles » à permettre « l’accès de certains parlementaires à
des informations classifiées ». C’est ainsi que les présidents des commissions
permanentes des deux assemblées en charge de la Défense et des Affaires
étrangères reçoivent copie de tous les télégrammes diplomatiques, y compris ceux
qui sont classifiés. Marc Guillaume observe également que, depuis la guerre du
Golfe, « l’information des parlementaires sur les opérations extérieures s’est
développée de manière pragmatique ». De fait, pendant le conflit, le Premier
ministre Michel Rocard avait décidé de communiquer des données stratégiques
aux présidents des groupes politiques constitués dans les deux chambres afin de
leur permettre de cerner l’évolution des événements.
Cette nouvelle situation ne lève pas pour autant deux difficultés majeures :
les parlementaires peuvent difficilement faire l’objet d’une habilitation et
l’impératif de préservation du secret se heurte parfois à la nécessaire publicité des
débats.
En effet, en application de l’article 413-9 du code pénal, « les niveaux de
classification des renseignements, procédés, objets, documents, données
informatisées ou fichiers présentant un caractère de secret de la défense nationale
et les autorités chargées de définir les modalités selon lesquelles est organisée
leur protection sont déterminés par décret en Conseil d’État ».
Or le décret n° 98-608 du 17 juillet 1998 précise en son article 7 que « nul
n’est qualifié pour connaître des informations ou supports protégés s’il n’a fait au
préalable l’objet d’une décision d’habilitation et s’il n’a besoin de les connaître
pour l’accomplissement de sa fonction ou de sa mission ». À défaut d’une
dérogation prévue par la loi (cf. infra), une habilitation est donc nécessaire pour
accéder à des informations classifiées.
(1) Bertrand Warusfel, Le secret de la défense nationale - Protection des intérêts de la nation et libertés
publiques dans une société d’information, Thèse, Université Paris V, 1994.
(2) Marc Guillaume, « Parlement et secret », Pouvoirs, 2001, n° 97, p. 67.