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Dans la description des moyens existant en police judiciaire, il a été
souligné à plusieurs reprises que l’autorisation de mise en œuvre était délivrée par
l’autorité judiciaire. Or, certains juristes considèrent que les moyens très intrusifs
prévus par vos rapporteurs au bénéfice des services de renseignement ne
pourraient faire l’économie du même mécanisme d’autorisation, selon les termes
de l’article 66 de la Constitution qui dispose : « Nul ne peut être arbitrairement
détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le
respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. » Animée par une
logique similaire, l’Espagne a d’ailleurs fait le choix de confier à un juge cette
tâche, sans pour autant assurer efficacement la protection des libertés
fondamentales (1).
Pourtant, pareille prise de position méconnaît la jurisprudence du
Conseil constitutionnel (2). En effet, le Conseil a très clairement indiqué que
l’article 66 visait non l’ensemble des libertés individuelles, mais la liberté de ne
pas être arbitrairement détenu. Dès lors, le caractère intrusif des mécanismes
envisagés, s’il peut entamer les libertés individuelles, ne se heurte guère à l’article
précité en l’absence de toute contrainte physique.
De surcroît, le juge constitutionnel établit une distinction entre la police
judiciaire, dédiée à la répression d’une infraction ainsi qu’à la recherche de ses
auteurs, et la police administrative qui a pour but de « faire cesser un trouble déjà
né, fût-il constitutif d’infraction, et [de concourir à] la prévention des
infractions ». Dès lors, si les moyens octroyés dans le cadre de la première activité
sont soumis à l’autorisation du juge (la jurisprudence est constante sur cette
question), les moyens prévus dans le cadre de la seconde activité relèvent de la
responsabilité du pouvoir exécutif (3). En ce sens, le Conseil constitutionnel
considère que la loi de 1991 relative aux interceptions de sécurité constitue un bon
modèle pour fonder une réflexion spécifique à cette thématique.
En revanche, le Conseil constitutionnel avait posé, dans sa décision
n° 76-75 DC du 12 janvier 1977, la nécessité que les pouvoirs d’investigation
octroyés soient précisément définis, qu’ils répondent à un objectif déterminé (les
intérêts fondamentaux de la Nation ou la sauvegarde de l’ordre public (4) dans le
cas présent), qu’ils fassent l’objet d’un cadre légal et qu’ils soient soumis à des
contrôles (5).
Aussi, tant le périmètre de la loi, que le cadre prévu pour mettre en œuvre
les moyens spéciaux d’investigation envisagés ou encore l’instance chargée de
délivrer une autorisation (une AAI) ne se heurtent en rien à la jurisprudence du
Conseil constitutionnel. Au contraire, la volonté de la mission réside précisément
(1) Cf. La position défendue par Concepción Pérez Villalobos, Derechos fundamentales y servicios de
inteligencia, Granada, Grupo editorial universitario, 2002, 144p.
(2) Cf. Commentaire de la décision n°2005-532 DC du 19 janvier 2006, Les cahiers du Conseil constitutionnel,
n°20, 16p.
(3) Décision n°2005-532 DC du 19 janvier 2006.
(4) Décision n°2003-467 DC du 13 mars 2003 pour cette dernière exigence.
(5) Nous avons évoqué ces exigences dans le chapitre consacré à la loi relative aux activités de renseignement.

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