Contribution de Jean-Jacques URVOAS

fit part à son président de son refus par une lettre (non publique) du
22 février 1945. D’ailleurs, lors du Conseil des ministres du 28 décembre
1945 au cours duquel fut soumis un projet de décret instituant le Service
de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) pour succéder à la DGER, le chef de l’État précisa qu’il fallait éviter, entre autres
« écueils », qu’un « contrôle soit établi sur ces services » 1.
Au demeurant, sa volonté ne pouvait que s’accommoder du désintérêt des parlementaires de la IVe République qui, hormis dans le cadre
de la commission d’enquête sur l’affaire des généraux, ne cherchèrent
point à s’approprier les thématiques relatives au renseignement. D’une
manière générale, « jusqu’au début des années 1970, il apparaît très clairement que les élus de la Nation n’ont jamais voulu “contrôler” ou “enquêter” sur des administrations aussi singulières » 2. Et si entre 1970 et 2005,
quelques timides tentatives eurent lieu (notamment à l’initiative de Paul
Quilès, alors président de la commission de la défense de l’Assemblée
en 1999 3, puis d’Alain Marsaud, rapporteur de la commission des lois
d’un projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme en 2005), il faudra
attendre le Gouvernement dirigé par François Fillon pour que soit instituée par le vote de la loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007 une « délégation
parlementaire au renseignement ». Au demeurant, ce pas était symboliquement important mais juridiquement d’une portée limitée puisque la
structure restait cantonnée au « suivi de l’activité générale » des services.
Cinq années devront encore s’écouler avant que la DPR passe du
« suivi » au contrôle. Ainsi, avec la nouvelle écriture découlant de la LPM,
la mission est claire et le choix des termes employés pour la qualifier ne
doit rien au hasard. La vocation de la DPR est moins de « surveiller » les
administrations elles-mêmes que de veiller à l’usage que peut en faire le
pouvoir exécutif. En cas d’anomalie avérée, les élus du peuple peuvent
alors en imputer la responsabilité au seul Gouvernement et mettre en
œuvre les mécanismes prévus par la Constitution en application de la
séparation des pouvoirs.
La France ne fait donc pas partie de la poignée de pays (ÉtatsUnis, Norvège…) dans lesquels le contrôle parlementaire s’apparente
à une forme de surveillance sur les opérations en cours. On pourrait de
prime abord le regretter mais il s’agit en réalité d’une heureuse précaution. D’abord parce qu’aux États-Unis, l’expérience a démontré qu’en
réponse à ce qu’ils percevaient comme une « entrave » à leur action, les
gouvernements multipliaient les procédés pour contourner le Parlement

1) Sébastien Laurent, « Les parlementaires face à l’État secret et au renseignement sous
les IVe et Ve Républiques : de l’ignorance à la politisation », Cahiers de la sécurité, juilletseptembre 2010, n° 13, p. 136.
2) Ibid., p. 137.
3) Proposition de loi de Paul Quilès tendant à la création d’une délégation parlementaire
pour les affaires de renseignement, doc. AN n° 1497 (XIe législature), 25 mars 1999.

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