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rapport d’activité 2012
Informer et éduquer / Conseiller et réglementer / Accompagner la conformité / Protéger les citoyens /
Journée d’études vie privée 2020 : quelques réflexions clés des experts suite
prédire les comportements. Avec le big data, l’extraction
de connaissances nécessite l’utilisation de techniques
d’intelligence artificielle, d’apprentissage informatique
et de réseaux neuroniques. Ainsi apparaît une nouvelle
manière de gouverner qui ne s’appuie que sur du pur
calcul : il suffit de mettre en place des ensembles de
données brutes et de leur appliquer des algorithmes
qui fabriqueront automatiquement des modèles de
comportements.
On assiste ainsi, avec les applications de data
mining et de profilage, à une « objectivation à distance
des comportements ». Les individus sont de plus en
plus catégorisés, non pas au travers de catégories
préexistantes, mais dans le cadre d’un « nouveau
régime d’intelligibilité du réel » qui dispense de toute
normativité préétablie. Dès lors, la personnalisation
se passe de tout rapport à une norme commune. Ces
dispositifs informatiques sont à l’origine d’une nouvelle
manière d’interpréter le réel et le monde : ils font parler
nos données à notre place. À la rationalité déductive
succède une rationalité inductive qui, de plus, se veut
prédictive.
Mais souhaitons-nous vivre dans une société
dans laquelle toutes nos interactions et transactions
pourraient être gouvernées par nos comportements
passés ?
Ces évolutions sont également à l’origine d’autres
questionnements : la personnalisation qui en résulte est
paradoxale, puisque ce travail s’effectue sans jamais
demander l’avis de l’individu sur ses désirs et ses
intentions. Or, comment peut-on devenir des sujets si
nos désirs nous précèdent, si l’on est de fait réduit à nos
activités passées ? Comment, par ailleurs, garantir un
espace public de délibération si l’on s’en remet à des
systèmes algorithmiques pour évaluer le réel ?
3/ La donnée au cœur des modèles d’affaires
La donnée personnelle étant placée au cœur des
modèles d’affaires du numérique, il n’est pas surprenant
que l’on entende de plus en plus parler de monétisation
des données personnelles. Mais peut-on croire à
un « marché » des données personnelles ? Le droit
à la souveraineté sur sa vie virtuelle passe-t-il par la
reconnaissance d’un droit de propriété sur ses données ?
La protection des données peut-elle être aussi source
d’activités économiques ?
Au plan économique, la promesse du big data
correspond à un monde totalement personnalisé dans
lequel le calcul domine au détriment des autres formes
de rationalités économiques. Dans ce monde, le système
concurrentiel ne porte plus sur le rapport qualité-prix
mais sur les mécanismes de singularisation du service.
Le marché passe des « biens » au « lien », grâce aux
traces d’usage. La vision collective de l’humanité ne
risque-t-elle pas d’être ainsi mise à mal ?
4/ Quelles nouvelles formes de régulation pour
demain ?
Depuis 1978, les frontières entre vie publique et
vie privée sur lesquelles était initialement fondée la
loi « Informatique et Libertés », se sont déformées. De
nouvelles frontières sont apparues, entre économie de
marché et logique d’émancipation des personnes. Ces
changements sont essentiels, dans la mesure où de plus
en plus de business models sont fondés sur la captation
des données. À l’inverse, des mouvements visent à
développer un internet citoyen.
Pour certains, une régulation purement procédurale
devrait se substituer à l’actuelle régulation substantielle.
Le consentement de l’individu devrait en être la clé,
conduisant ainsi à faire de l’individu un personnage
souverain. Mais celui-ci sera-t-il toujours en mesure de
faire ses arbitrages ? Est-il souhaitable d’ailleurs de lui
demander de s’installer dans une logique de marché ?
Par ailleurs, le concept de privacy prend une place
croissante dans les réflexions européennes.
Sur toutes ces questions, il est nécessaire de
gagner la bataille conceptuelle et idéologique, car des
modèles s’affrontent dans un contexte de concurrence
internationale. Seul le plus attractif sera promu. Les
Européens devront être capables de proposer des
concepts nouveaux et de compléter ceux qui existent,
par exemple en reconnaissant de nouveaux droits.
Certains craignent que parler de régulation constitue
une régression. Pourtant, au-delà des querelles de
mots, il apparaît que la simple contrainte législative
et réglementaire ne saurait suffire. La régulation est à
comprendre comme un « art de saltimbanque », l’art de
régir les rapports entre individus. Elle ne peut qu’être
constituée par l’ensemble des outils qui sont utiles pour
administrer le système. Ce qui comprend notamment la
réglementation.