— 15 —
I. UN PROJET DE LOI AUSSI ATTENDU QUE NÉCESSAIRE
Comme cela vient d’être rappelé, de nombreux travaux conduits par
l’Assemblée nationale, depuis le début de la présente législature, ont montré les
lacunes de notre législation en matière de renseignement.
A. LE BIEN-FONDÉ DU PROJET DE LOI
1. Une carence française reconnue
Dans le rapport qu’il avait publié avec M. Patrice Verchère, en mai 2013,
et qui était intitulé : Pour un État secret au service de notre démocratie (1) votre
rapporteur constatait que la France fut longtemps et curieusement rétive à toute
intrusion du pouvoir législatif dans le champ des services de renseignement, dont
l’organisation, les moyens et le contrôle lui demeuraient pour une très large part
étrangers.
Or, pour votre rapporteur, ces services ne doivent pas être considérés
comme « spéciaux » ou « secrets ». Certes la presse les qualifie souvent ainsi sans
doute parce qu’ils perdent en précision ce qu’ils gagnent en capacité à susciter
immédiatement un certain mystère. Mais la direction générale de la sécurité
extérieure (DGSE) ou la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ne sont
pas des institutions secrètes : les sites internet de leurs ministères respectifs leur
dédient des espaces, leurs directeurs généraux publient parfois des entrevues ou
des tribunes (2). Les services ne sont pas plus spéciaux, sauf peut-être en raison
d’un rattachement fonctionnel à l’autorité politique quelque peu original lié à une
architecture découlant de la dyarchie de l’exécutif que l’on doit à la Constitution
de la Ve République.
Par contre, à rebours de toute logique, ils continuent d’inscrire leurs
activités dans un environnement « para-légal », « extra-légal » voire « a-légal »
(selon les points de vue) qui n’apporte pas de garanties suffisantes pour les
citoyens comme les agents des services spécialisés (3). Vivant au rythme des crises
qu’ils suscitent ou subissent, les services qui lui sont dédiés travaillent au profit de
la République, mais dans les limbes du droit et des exigences démocratiques. Et,
alors qu’il compte parmi les plus anciennes des nations démocratiques, notre pays
est également le dernier à ne pas avoir établi un cadre normatif adapté.
(1) Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère, Pour un État secret au service de notre démocratie, Rapport de la
mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, déposé
au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, doc. AN n° 1022, 14 mai 2013, p. 13.
(2) Cf. par exemple Bernard Bajolet, « La DGSE, outil de réduction de l'incertitude ?", Revue Défense
nationale, janvier 2014.
(3) Bertrand Warusfel, in « Renseignement et État de droit », Cahiers de la sécurité, 2010, n° 13, p. 114-121,
apporte l’explication suivante : « Dans des États anciens comme la France ou le Royaume-Uni, l’appareil
de renseignement étatique a été originellement établi hors du droit, car destiné par nature à fonctionner dans
la clandestinité en utilisant des moyens illicites. »