CNCIS - Dixième anniversaire de la Commission
Témoignage sur la mise en œuvre de la loi
du 10 juillet 1991 et son impact sur les services
de sécurité,
Jacques FOURNET préfet, ancien directeur
des renseignements généraux
et de la surveillance du territoire
Ces quelques lignes écrites veulent d’abord être un témoignage. Celui d’un responsable de services 1 ayant participé à l’élaboration et à la mise
en œuvre de la loi du 10 juillet 1991 relative « au secret des correspondances
émises par la voie des télécommunications ».
Cela signifie avoir vécu la pratique des écoutes avant et après la loi
mais aussi avoir partagé, lors de sa promulgation, les appréhensions des
fonctionnaires chargés d’y procéder.
En 1988 et sans doute depuis de nombreuses années, la pratique des
écoutes suivait une procédure administrative (on les qualifiait d’ailleurs
d’écoutes administratives, ce qui est révélateur de leur statut de l’époque) relativement simple : proposition par le directeur du service, approbation par le
cabinet du ministre de l’Intérieur, confirmation par le cabinet du Premier ministre, mise en œuvre par le ministre des Télécommunications et réalisation
par le GIC (groupement interministériel de contrôle). Le tout couvert par le
« secret défense » qui d’une certaine manière valait label d’intérêt général.
Chacun savait que le fondement juridique des écoutes était bien modeste (circulaire de Michel Debré datant de 1960) mais chacun pensait que la
légitimité associée au recueil du renseignement au profit de l’État suffisait. Il
est vrai que certaines affaires n’avaient pas encore défrayé la chronique, que
l’opinion publique au sens large était moins sensible qu’aujourd’hui et que
les succès dans la lutte contre le terrorisme (notamment en ce qui concerne
les renseignements généraux, contre « Action Directe ») permettaient d’agir
sans trop se poser de question et même avec bonne conscience.
Je puis en outre attester que le nombre limité de lignes auxquelles le
service avait droit et la rigueur du contrôle exercé par le cabinet du ministre
de l’Intérieur évitaient les dérives. Déjà, un code de conduite non écrit réduisait quasiment à néant les demandes à l’encontre des professions dites sensibles (journalistes, avocats, personnalités de mouvements politiques
classés...). De même, les écoutes étaient formellement proscrites à l’égard
1) Directeur central des renseignements généraux (août 1988 – juin 1990). Directeur de la DST
(juin 1990-octobre 1993).
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