CNCIS - Dixième anniversaire de la Commission

On peut résumer ainsi cette jurisprudence : les conversations téléphoniques sont incluses dans les notions de « correspondance » et de « vie
privée » énoncées à l’article 8. Leur interception ou leur enregistrement
constitue une ingérence de l’autorité publique dans l’exercice du droit garanti par ledit article. Pour être conforme à la Convention, cette ingérence
doit répondre aux trois exigences classiques énoncées par le texte et précisées par la jurisprudence :
– être prévue « par la loi » : le droit en vigueur, quelle que soit sa source,
doit être publié ou aisément accessible, et énoncer le régime en vigueur, les
procédures et les garanties applicables ;
– avoir pour fondement l’un des objectifs limitativement énumérés par l’article 8-2 de la Convention ;
– être, « nécessaire, dans une société démocratique », à la poursuite d’un
tel objectif, à savoir répondre à un besoin social impérieux et respecter le
principe de proportionnalité.
Sur la base de ces principes, la Cour a procédé à un examen minutieux des droits et des pratiques en cause. La requête dirigée contre la République fédérale d’Allemagne a été rejetée, ce pays ayant mis en place dès
1968 un système de contrôle des écoutes administratives jugé conforme
aux exigences précitées (affaire Klass). Le Royaume-Uni a été condamné, le
système des écoutes utilisé ne correspondant pas, vu son obscurité et son
ambiguïté, au degré minimum de sécurité juridique qu’implique l’expression « prévue par la loi ». L’arrêt Malone, qui a ainsi statué, est du 2 août
1984. Moins d’un an plus tard était promulguée la loi du 25 juillet 1985 sur
l’interception des communications.
On pouvait assurément s’attendre à voir un jour un requérant français
se plaindre devant la Cour, à propos d’écoutes téléphoniques, de la méconnaissance de l’article 8 de la Convention. C’est ce qui se produisit. MM. Huvig et Kruslin, n’ayant pu convaincre les juges français, y compris la Cour de
Cassation, du bien fondé de leur position 1, saisirent la Cour européenne des
Droits de l’homme. Par deux arrêts rendus à l’unanimité le 24 avril 1990 2 et
concernant tous deux les écoutes ordonnées par un juge d’instruction, la
Cour européenne des Droits de l’homme a dit en substance ceci : les mesures
incriminées étaient bien « prévues par la loi », au sens précité de ces termes,

1) Cass. crim. 24 avril 1984, Huvig, D. 1986 125 ; 23 juillet 1985, Kruslin, Bull. crim. no 275 ; cf.
W. Jeandidier, note sous Cass. crim. 15 mai 1990, Bacha, JCP. 1990 II -21541.
2) Kruslin c. France ; époux Huvig c. France. Sur ces arrêts voir R. Kœring-Joulin, « De l’art de
faire l’économie d’une loi (à propos de l’arrêt Kruslin et de ses suites) », D. 1990. chr. 187 ; D.
1990. 353, note Pradel ; P. Kayser, « La conformité à la Convention des Droits de l’homme et à la
Constitution de la France des écoutes téléphoniques administratives », D. 1991. 17, J. Pradel,
« Les écoutes téléphoniques judiciaires : un statut envoie de formation », RFDA 1991. 83 ; J.F.
Flauss, « Écoutes téléphoniques : le point de vue de Strasbourg », id. 89 ; G. Cohen Jonathan,
« La Cour européenne des Droits de l’homme et les écoutes téléphoniques. Les arrêts Kruslin et
Huvig du 24 avril 1990 », RUDH 1990. 185 ; R. Vienne, « Les écoutes téléphoniques au regard
de la Cour européenne des Droits de l’homme », Mélanges Lavasseur, Litec, 1992 p. 263 ;
Gazette du Palais, 1990 -1-249, note J. Zdrojewski et C. et L. Pettiti.

50

Select target paragraph3