CNCIS - Dixième anniversaire de la Commission

Nous mimes du temps, Louis Joinet, Rémy Pautrat et moi, à comprendre que derrière ces réticences qui nous paraissaient archaïques et
nous faisaient sourire mais qui se révélaient fortes et difficiles à surmonter, il
y avait quelque chose de plus précis : l’impossibilité mentale pour les collaborateurs de tant de gouvernements d’imaginer qu’il soit seulement possible de se passer d’écoutes politiques. C’est lorsque nous avons vraiment
compris cela que les choses purent réellement commencer.
Louis Joinet employa dans les premiers dix-huit mois une bonne
partie de son temps à convaincre les services de l’utilité et de la faisabilité de
cette réforme en même temps que de l’importance que j’y attachais.
Le fait qu’en matière de moralisation de la vie publique j’attaquais sur
tous les fronts était par ailleurs visible et convaincant. C’est en effet pendant
cette période qu’ont été votées sur ma proposition les lois concernant la
transparence des marchés publics locaux, le renforcement des pouvoirs de
la Commission des opérations de bourse, l’évaluation des politiques publiques, et surtout la grande loi du 15 janvier 1990 régissant le financement des
partis politiques et des campagnes électorales. L’assainissement des écoutes ne pouvait manquer à cette liste.
Louis Joinet alla même jusqu’à organiser des visites du Groupement
interministériel de contrôle, qui n’en avait jamais tant vu. Il y entraîna des
parlementaires et des journalistes. De manière fort savoureuse, lors de la visite organisée pour la presse, le journaliste invité du Canard Enchaîné eut un
empêchement de dernière minute. On lui réorganisa une deuxième visite
pour lui tout seul. L’écho de la bataille judiciaire sur les « écoutes du Canard » n’était pas encore retombé.... En tous cas le Canard fut au moins aussi
surpris que le GIC.
Bref, petit à petit, l’idée fut acceptée. On put alors passer à la rédaction
du projet de loi. La composition de la Commission de contrôle fut âprement
discutée. L’autre point dur fut naturellement le partage des quotas d’écoutes
administratives permises entre les différents services concernés.
Je procédais au même moment à la régularisation par voie de décret
de la gestion des fichiers des différents services de police, pour les soumettre aux principes et aux règles édictés par la Commission nationale informatique et libertés. C’est dire si j’avais hâte d’en terminer aussi avec les
écoutes. C’est fin avril 1991 que le projet de texte fit enfin l’objet d’un accord
interministériel complet. Il n’y eut pas de difficulté ni de commentaires au
Conseil des ministres.
Pour donner de la solennité et souligner l’importance à mes yeux de
ce projet de loi, j’ai alors décidé d’aller le présenter moi-même au Conseil
d’État, dont la consultation était obligatoire. La démarche était inhabituelle,
et je crois sans précédent depuis au moins un demi-siècle. Le Premier ministre étant le président du Conseil d’État, il a naturellement avec lui des rapports différents, et ce sont habituellement les ministres, sinon leurs
directeurs, qui vont présenter les projets à cette auguste institution, mais

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