CNCIS - Dixième anniversaire de la Commission
ministériel de contrôle, c’est-à-dire l’unité militaire chargée de réaliser les
écoutes, rendait visite à mon directeur de cabinet Jean-Paul Huchon pour lui
confier la « production » des dernières 24 heures et soumettre à sa signature
les autorisations nécessaires pour continuer certaines écoutes ou en commencer d’autres. Jean-Paul Huchon s’acquittait de cette tâche avec beaucoup de conscience et de rigueur. Jamais aucun homme politique,
journaliste ou avocat n’a été écouté. Nous n’avons connu qu’une seule bavure : les assassins du pasteur Doucé, une bande à laquelle appartenaient
quelques policiers en rupture de ban, furent découverts grâce à une écoute
qui n’avait pas été signée par le directeur de cabinet du Premier ministre.
Cela fit un gros incident policiaro-judiciaire. Il est possible, bien qu’étonnant
puisque nous n’en connaissons pas d’autres cas, et que le service connaissait ma volonté de rigueur et de transparence, que le dit service ait accédé à
une demande pressante provenant, bien qu’irrégulière, d’une autorité avec
laquelle il était habitué à travailler. La clé de ce mystère est probablement
entre les mains de la justice aujourd’hui, mais je ne la connais pas.
Les autres écoutes qui ont fait scandales, et notamment celles dites
de l’Élysée, sont à ma connaissance antérieures à mon arrivée à Matignon.
Ce doit notamment être le cas des dernières, celles d’Edwy Plenel et de Carole Bouquet. Aucun service, aucun juge, aucun journaliste ne m’a jamais
questionné à leur sujet. S’il s’avérait que certaines décisions d’écoutes de
cette nature sont postérieures au 10 mai 1988, il faudrait admettre que notre
surveillance n’était pas d’une étanchéité totale et qu’il y a eu d’autres bavures. Mais à mon avis, vu la publicité très large donnée à tout cela nous le saurions depuis longtemps.
Cependant, même techniquement assainies et soumises à une déontologie plus stricte, ces pratiques ne pouvaient donner satisfaction. Les
écoutes judiciaires, bien que parfaitement légitimes, étaient sans base légale suffisante. Les écoutes « administratives » c’est-à-dire celles demandées par divers services sur la base de suspicions encore insuffisantes pour
fonder la décision d’un juge, même si elles étaient limitées avec rigueur et
les procès verbaux d’écoutes détruits après usage, n’avaient ni base légale,
ni même la moindre légitimité. C’était le pur secret du pouvoir politique et
donc l’arbitraire. Le Gouvernement, même en dehors d’abus caractérisés
comme les écoutes du Canard enchaîné ou certaines autres qui furent demandées par la cellule de sécurité de l’Élysée, risquait toujours des incidents lorsqu’une écoute parfaitement légitime nous faisait découvrir des
personnalités importantes de la société française en correspondance avec
des interlocuteurs dangereux. Même si la conversation ne posait aucun problème, ce qui fut toujours le cas, la situation était au moins délicate. Cela
nous arriva avec Madame Raymond Barre téléphonant à l’ambassade de
son pays natal, la Hongrie – quoi de plus normal – à une époque où cette ambassade était sérieusement suspectée de soutenir des réseaux terroristes,
ou encore Madame François Mitterrand défendant avec courage la cause
Kurde, ou aussi Bernard Kouchner dans ses contacts humanitaires avec le
Viet Nam. Traiter non seulement des situations de ce genre, mais l’en-
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