CNCIS - Dixième anniversaire de la Commission

Avant d’avoir connu cette histoire, j’avais moi-même été mêlé aux
« événements » de mai 68, en situation de responsabilité. Je fus « très vraisemblablement » mis sur écoute, et je peux confirmer à tout lecteur que cela
est fort désagréable. La seule preuve indiscutable que j’en eue, cependant,
est d’avoir entendu circuler dans l’intelligentia politique et administrative
parisienne mes bulletins de santé. Comme je relevais de jaunisse, et que
j’étais donc sourcilleux sur ce point, je ne vis à cette découverte qu’une
odieuse violation de ma vie privée. J’ai toujours pensé que mes « écouteurs » ont du mettre peu de semaines à se convaincre que je n’étais pas
homme à manipuler de l’argent maffieux ou des armes.
Il reste cependant que, quelque treize ans après, Raymond Marcellin,
qui avait été le ministre de l’Intérieur de cette époque et avec qui depuis
j’avais établi des relations de partenariat politique cordial, convint un jour
sur ma question qu’il m’avait mis sur écoutes téléphoniques pendant plus
de trois bonnes années.
Et j’ai encore le souvenir d’un ambassadeur de Yougoslavie de mes
amis, grand seigneur de sa profession et de son pays, qui ne détestait pas de
parler clair à des amis de ce qui se passait chez lui, m’emmenant dans une
salle protégée des sous-sols de son Ambassade pour parler tranquilles. Je
n’étais guère fier de notre hospitalité.
Bref lorsque François Mitterrand, le 10 mai 1988, me nomma Premier
ministre à ma grande surprise, bien que la presse à ce moment m’ait toujours classé dans le peloton des possibles, je n’avais rien de prêt dans la tête,
mais j’avais des comptes à régler. J’avais en outre sur ce sujet deux souvenirs plus récents. L’un était que Pierre Mauroy justement, Premier ministre
de 1981 à 1984, avait demandé à un haut magistrat, Monsieur Schmelck,
premier président de la Cour de Cassation, de présider une Commission qui
fasse un rapport détaillé sur l’état des pratiques à l’époque. Si mes souvenirs sont exacts le rapport fut établi et remis mais non public, et Pierre Mauroy opta, devant ces informations importantes, pour une conduite d’auto
limitation de la puissance publique. Cela pouvait être une solution partiellement satisfaisante aussi longtemps que cet honnête homme occupait Matignon, mais ne garantissait pas l’avenir. En outre je me souvenais que vers le
milieu des années 80 la France avait été condamnée par la cour de Strasbourg pour avoir fait écouter un malfrat, qui se retrouva de ce fait emprisonné et condamné, dans des conditions parfaitement illégales. Même les malfrats ont droit au respect des règles légales. Mais il doit être possible de les
écouter légalement. Quelque chose clochait dans les pratiques françaises.
Mon prédécesseur à l’Hôtel Matignon était Jacques Chirac. Lors de
l’entretien de passation de pouvoirs, je lui demandai s’il avait fait truffer le
bâtiment de micros. Il me jura que non et ajouta avec quelque emphase et
quelque fierté qu’il s’en était rigoureusement tenu à la ligne d’auto limitation
de la puissance publique décidée par Pierre Mauroy vers 1982 et qu’il l’avait
même durcie. J’eus confiance en sa parole, mais moins, je le confesse, dans
celle des « services » qu’il engageait. Je fis sonder tous les recoins du bâti-

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