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Faut-il pour autant craindre que ce service « dispose […], à l’insu de tout
contrôle, d’un accès libre et total » par le biais « d’Orange mais aussi des autres
opérateurs français » aux flux de données qui transitent par ces réseaux « aussi
bien sur des Français que sur des étrangers »133 ? Serait-il possible que « la totalité
des conversations [soient] espionnée » et « ensuite stockées pendant des
années »134 ? La multiplication d’articles consacrés à ce sujet sur quelques sites
internet par des exégètes de mauvaise foi l’ont affirmé sans aucune précaution. Une
fois de plus, le terreau existait pour que le soupçon puisse tenir lieu de
raisonnement. Pour l’opinion, l’action des services se résume pour l’essentiel à des
pratiques condamnables. Elle est prompte à y déceler l’origine de complots
obscurs, d’actions illégales et les manipulations feutrées. Il faut donc lui opposer
une analyse dépassionnée des faits et du droit.
D’un point de vue technique, les dispositifs dénoncés par les accusations
précitées sont réalisables, c’est ce qui fonde d’ailleurs la portée phantasmatique de
ces écrits. Comme l’a développé le Comité belge de contrôle des services de
renseignements et de sécurité, il existe cinq formes de captation massive de
données composant un « gigantesque filet à mailles fines »135. Pour autant, les
efforts budgétaires qui devraient être consentis s’avèrent parfaitement hors de
portée pour notre pays. Rappelons ainsi que la Direction technique de la DGSE
dispose ***, ce qui s’avère très insuffisant pour placer le service à la hauteur de sa
réputation sulfureuse.
En outre, la France n’est pas un « État espion », pour reprendre le titre d’un
livre de David Wise qui analysait le Watergate136. Comme déjà évoqué
précédemment, notre pays n’a jamais institué un régime d’exception (à l’instar du
Patriot Act) et il n’en aurait d’ailleurs pas les moyens constitutionnels ou juridiques
– en raison notamment des obligations découlant de la Convention de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales que notre pays a signée et
ratifiée.
Cette situation, adjointe à des questions philosophiques déjà exposées,
explique la différence d’action de la NSA et de la DGSE : là où la NSA intercepte
et stocke massivement les flux de communication puis sollicite des autorisations
pour exploiter les informations conservées, la DGSE sollicite des autorisations de
collecte extrêmement précises et ciblées sur des zones de crise ou de menace. Car
la DGSE est non un service technique (à la différence de la NSA) mais un service
de renseignement doté de moyens techniques mis en œuvre pour assurer ses
133
M. Jacques Follorou, Démocraties sous contrôle : la victoire posthume d’Oussama Ben Laden, Paris, CNRS
Editions, 2014, p. 41.
134
MM. Jacques Follorou et Franck Johannnès, « Révélations sur le Big Brother français », Le Monde, 4 juillet
2013.
135
Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité, Rapport d’activité 2013,
Bruxelles, p.137.
136
M. David Wise, L’État espion, Paris, Messidor/Temps Actuel, 1982.