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FILIÈRES « DJIHADISTES » : POUR UNE RÉPONSE GLOBALE ET SANS FAIBLESSE

 Traduction d’un questionnement identitaire profond au sein des
sociétés arabes, les courants se réclamant de l’islamisme sunnite ont en
commun le rejet de l’islam officiel, représenté par le clergé agréé par les
États, et de l’islam traditionnel, entendu comme la pratique quotidienne de
la majorité des musulmans. Le caractère militant de la démarche est souligné
par le terme d’islamiste (islamiyyun), que ces acteurs privilégient par rapport
à celui de musulman (muslimum). Si l’ensemble des mouvements islamistes
partagent par ailleurs l’idéal d’une société dans laquelle l’islam occuperait
une place centrale, ils se distinguent à la fois par des divergences sur les
moyens d’y parvenir et sur la place donnée aux règles édictées par les textes
sacrés − la charia, qui peut être considérée comme un simple cadre éthique
ou comme le fondement de toute législation. Ces divergences permettent de
distinguer trois grandes familles au sein des mouvements islamistes.
Au sens strict, le courant salafiste, qui correspond à la religion
officielle en Arabie saoudite et à une tendance répandue dans l’ensemble des
pays arabes, vise à l’application d’une orthodoxie sunnite littérale et
intransigeante sur le plan religieux comme dans le domaine social. Cette
islamisation des sociétés doit se faire par le bas, notamment à travers la
prédication, et non par la conquête du pouvoir. Les salafistes rejettent les
pratiques sunnites hétérodoxes ainsi que le chiisme, et tolèrent les chrétiens
lorsqu’ils ont un statut juridique d’infériorité (dhimmi).
Un autre courant, qui considère les injonctions des textes sacrés
comme un vecteur pour parvenir au meilleur système de gouvernement
possible, prône l’islam politique. Né avec la création de la Confrérie des
Frères musulmans en 1928, ce courant se donne l’objectif, par une
participation aux pouvoirs en place, de les réformer de l’intérieur afin de
les rapprocher graduellement d’un modèle islamique. Représenté dans une
grande partie du monde musulman, le mouvement frériste est parcouru de
nombreux clivages entre les partisans d’une vision holiste du pouvoir – selon
laquelle les règles de l’islam devraient régir à la fois le champ religieux, le
politique et la vie quotidienne − et les réformateurs prônant le modèle
démocratique. L’intégration réformiste au système politique, qui prévaut sur
l’orthodoxie religieuse, permet à ces courants de composer davantage avec la
pluralité des confessions.
La doctrine de la famille djihadiste enfin, fondée sur les écrits de
Sayyed Qotb1, prône le renversement par la violence des pouvoirs existants
pour les remplacer par un État islamique ressuscitant le Califat des
premiers temps de l’islam. Le combat djihadiste est d’abord dirigé contre les
régimes arabes ainsi que les Frères musulmans, en raison de la trahison du
modèle islamique dont ils se seraient rendus coupables. Le courant
djihadiste se divise sur le plan stratégique entre ceux, comme Al-Qaïda et
Sayyed Qotb (1906-1966), théoricien appartenant au mouvement des Frères musulmans et opposé
à Nasser, qui a rompu avec la stratégie de la confrérie et fondé, dans les années 1960, la doctrine du
retour à un islam politique dans lequel le djihad occupe une place centrale.
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