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Le parcours dans la délinquance tend également à évoluer. Avant la
crise particulière que l’on observe aujourd’hui, le modèle dominant de la
radicalisation concernait des jeunes issus de la petite délinquance, connus
des services de police, et souvent convertis à l’islam radical après un séjour
en prison. Ces profils existent toujours : de nombreux djihadistes ont une
expérience de la petite et de la moyenne délinquance (escroquerie, vols à
main armée, etc.), qui permet d’ailleurs souvent de financer le voyage.
Désormais cependant, la moitié des nouvelles recrues qui parviennent sur
le territoire syro-irakien était totalement inconnue des services de police
ou de gendarmerie. Sur les 152 personnes actuellement incarcérées,
22 seulement, soit 16 %, avaient déjà effectué un passage en prison, dont
plusieurs pour quelques mois seulement.
Plus encore, le nombre de jeunes djihadistes parfaitement intégrés,
comme en témoignent les profils d’adolescents aux résultats scolaires
satisfaisants ou de jeunes adultes diplômés et bien insérés dans la vie active,
n’est pas négligeable. Cette évolution correspond à l’augmentation des
profils issus de classes moyennes, souvent enfants d’enseignants ou encore
de médecins1. Ces éléments battent en brèche l’idée que la perméabilité à la
propagande salafiste découlerait avant tout d’une forme de misère
intellectuelle et de manquements éducatifs.
La part des nouveaux convertis tend à augmenter, pour atteindre
aujourd’hui 22 % chez les hommes et 27 % chez les femmes. Une proportion
non négligeable de ces nouveaux convertis sont issus de familles catholiques,
juives ou bouddhistes. Parmi les dix-huit profils de djihadistes suivis dans
l’ouvrage de David Thomson précité, un seul est issu d’une famille
musulmane pratiquante, et la plupart se considèrent comme des convertis,
qu’ils soient ou non issus d’une famille musulmane.
Il semblerait enfin, selon les auditions effectuées par votre
commission d’enquête, qu’une part difficilement mesurable des djihadistes
soient des jeunes psychologiquement fragiles, voire victimes de pathologies
psychiatriques qui n’auraient pas été détectées ni prises en charge par le
système de soins.
Ces éléments tendent à appuyer l’idée que si le facteur social
permet de l’éclairer en partie, il n’épuise pas le phénomène. Outre la
diversification des profils, la meilleure preuve en est sans doute que le
phénomène, mondial, n’est pas spécifique à la société française. La plupart
de nos partenaires européens sont également touchés, tout comme
l’Australie et le Canada. En proportion de la population de leur pays
d’origine, les djihadistes tunisiens sont les plus nombreux. Or, les problèmes
économiques, sociaux ainsi que les rapports intercommunautaires y sont
bien différents.
1
Voir sur ce point les précisions apportées par Dounia Bouzar dans l’étude précitée.