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FILIÈRES « DJIHADISTES » : POUR UNE RÉPONSE GLOBALE ET SANS FAIBLESSE
(3) Le rôle ambigu du facteur social
L’explication du passage à l’acte djihadiste par le facteur social
nourrit de vifs débats. Les travaux menés par votre commission d’enquête,
s’ils ne prétendent pas tirer de conclusion définitive, montrent que certains
éléments – prédominance des personnes issues de quartiers sensibles, ayant
un passé dans la petite délinquance, et probablement touchées par un
sentiment de discrimination − se retrouvent fréquemment dans le parcours
de ralliés à Daech. L’abondance des contre-exemples incite cependant à la
prudence, d’autant que la diversification des profils 1 complique largement la
tâche des services de renseignements.
Les djihadistes français sont principalement des jeunes âgés de 15 à
30 ans, parmi lesquels ont compte de plus en plus de mineurs (66 mineurs
formellement identifiés se trouveraient en Syrie). Ils sont en majorité
d’origine maghrébine, et, dans une moindre mesure, subsaharienne. Ils sont
originaires de l’ensemble du territoire français, y compris ultramarin. La
prévalence du phénomène s’observe cependant principalement dans six
régions (Provence-Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes, Nord-Pas de Calais,
Ile-de-France, Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées), les principaux foyers
étant situés à Paris, Strasbourg, Toulouse, Lyon et Grenoble.
La prédominance depuis les années 1990 de ce type de profils dans
les problématiques liées à l’islam salafiste – que l’on pense à Khaled Kelkal
en 1995, à la bande de Roubaix en 1996, à la filière des Buttes-Chaumont, à
Mohammed Merah ou encore à Mehdi Nemmouche – a focalisé l’attention
sur les conséquences de la misère sociale et du sentiment de discrimination.
Plusieurs des personnes auditionnées ont évoqué devant votre commission
d’enquête le poids de l’enclavement territorial et du manque de mixité
sociale. Il en résulterait une forme de ghettoïsation et une exacerbation de s
registres identitaires alternatifs, tels que le retour à l’islam radical, tandis le
modèle français tendrait à devenir localement invisible, ou du moins peu
visible.
Par rapport à ce modèle dominant de radicalisation, la sociologie
des partants pour la Syrie tend cependant à évoluer selon plusieurs
tendances.
On observe, en premier lieu, de plus en plus de départs en famille,
parfois avec de très jeunes enfants. La part des femmes, notamment
mineures, est par ailleurs en notable augmentation, qu’elles partent avec leur
mari – le mariage pouvant être organisé sur le territoire français, juste avant
le départ, avec un candidat choisi par le recruteur − ou avec l’intention d’en
trouver un sur place. Si certaines d’entre elles souhaitent apporter un simple
soutien logistique, d’autres sont animées par l’idée de passer elles-mêmes à
l’action : une jeune fille belge a ainsi commis en Irak un attentat suicide qui a
tué de nombreux soldats américains.
1
Voir notamment l’ouvrage de David Thomson, Les Français jihadistes, Les Arènes, 2014.