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linguistiques, pour se faire reconnaître comme tel. La leçon à en tirer me semble
être que des enquêteurs - dans le respect des valeurs démocratiques et avec une
surveillance ciblée, ainsi qu’elles nous ont été présentées, et je veux bien le
croire, par M. Chadrys comme étant les pratiques de la DCPJ- peuvent se livrer
à l’utilisation de ces signaux et de ces codes, se faire passer pour un djihadiste
sur les réseaux sociaux et infiltrer ces réseaux afin de les pister, de les surveiller
et, mieux encore, de les appréhender. Cet exemple illustre pourquoi il serait
extrêmement dangereux, voire contreproductif, de confier à ces mêmes
algorithmes des missions qui relèvent de l’autorité judiciaire indépendante. Je
ne dis pas que vous prônez une telle solution mais il me semble que cette idée
est en filigrane des propos tenus par le Président de la République et le Premier
ministre ou même ceux de M. Marc Robert.
J’en viens enfin à mon troisième point qui est de répondre à vos
questions sur les mesures à prendre, selon moi, pour assurer la souveraineté
des États et le respect du droit sur Internet. J’ai une réponse qui va peut-être
vous paraître « vieux jeu » mais j’estime que cette mission appartient à l’autorité
judiciaire et aux juges judiciaires indépendants et impartiaux. C’est la seule
façon, dans un État de droit, de restreindre les libertés conformément à nos
principes juridiques, notamment celui de proportionnalité. Je défends, comme
une ligne infranchissable, le fait que dans un État de droit seul le juge judiciaire
est habilité à restreindre les libertés fondamentales et cela dans le cadre de
l’exercice du droit à un procès équitable qui implique la transparence des
décisions, les audiences contradictoires, et les possibilités d’appel jusqu’aux
plus hautes juridictions, y compris les juridictions européennes.
Nos principales propositions s’appuient donc sur l’intervention
judiciaire comme seule autorité habilitée à restreindre les libertés ainsi que sur
la nécessité de cibler et d’encadrer par des principes démocratiques la
surveillance quand elle est mise en œuvre. Je note d’ailleurs que le Président de
la CNCIS partage cette position, à laquelle le Conseil de l’Europe fait écho. Je
relève au passage que des textes de loi, en particulier la dernière loi antiterroriste, ont été adoptés à de larges majorités par les deux assemblées
parlementaires alors mêmes qu’ils faisaient l’objet de critiques de la part du
Conseil national du numérique, de la Ligue des droits de l’homme, de
Reporters sans frontières, de la Commission nationale consultative des droits de
l’homme (CNCDH) ou du Conseil de l’Europe sans même faire l’objet d’un
recours auprès du Conseil constitutionnel, aucun groupe parlementaire n’ayant
eu le courage politique de s’élever contre le discours ambiant, cédant ainsi à
l’idée selon laquelle s’opposer au renforcement des dispositions sécuritaires
c’est défendre les terroristes.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. – Nous n’avons pas saisi le
Conseil constitutionnel d’un texte que nous avons voté et que nous estimions
respectueux des libertés.