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FILIÈRES « DJIHADISTES » : POUR UNE RÉPONSE GLOBALE ET SANS FAIBLESSE

texte a donc un peu plus de dix ans, ce qui est long à l’échelle des évolutions
d’Internet –, qui transposait elle-même une directive relative au commerce
électronique. Cette loi a instauré un régime de responsabilité des hébergeurs. Le
principe fixé est clair : dès lors qu’un hébergeur se voit signaler un contenu
manifestement illicite, il est tenu de procéder à sa suppression dans un bref
délai. Plusieurs centaines de condamnations ont été prononcées en France sur le
fondement du manquement à cette obligation (selon un panorama dressé par
Nicolas Poirier).
Une question se pose : revient-il à l’hébergeur d’apprécier le
caractère illicite des contenus publiés sur sa plateforme ? Autrement dit,
comment doit-il réagir face aux signalements qui lui parviennent ? Dans sa
décision relative à la LCEN, le Conseil constitutionnel a estimé que l’hébergeur
est tenu à la suppression et engage sa responsabilité dès lors que lui est signalé
un contenu manifestement illicite. A l’inverse donc, s’agissant des contenus dont
il est difficile, pour un non expert, de déterminer le caractère illégal
– notamment s’agissant des cas de contrefaçons de droits d’auteur –, la
responsabilité de l’hébergeur ne peut être recherchée et il revient au juge de
statuer sur la suppression du contenu. Les juges et la doctrine se sont accordés
pour considérer que les contenus manifestement illicites recouvraient
notamment les contenus pédopornographiques, les messages à caractère raciste
et antisémite ou encore la provocation à la haine. On peut cependant considérer
que la notion demeure floue et son périmètre mal défini.
La première des difficultés auxquelles nous sommes confrontés est
donc celle de la qualification juridique des contenus qui nous sont signalés. La
qualification d’apologie du terrorisme, récemment modifiée, est en effet très
large. S’agissant de la vidéo de l’assassinat du policier, la qualification d’acte de
barbarie s’imposait sans problème particulier ; cependant, dans la plupart des
cas, les acteurs se trouvent désemparés, d’autant qu’ils ne disposent pas
toujours d’un service juridique très pointu.
Nous sommes également confrontés à un problème de qualité des
signalements. Pour qu’un signalement puisse être traité de manière efficace, il
doit à la fois mentionner le contenu visé et la raison pour laquelle il est
considéré comme illégal. Or, la plupart des internautes n’ont pas de
compétences juridiques spécifiques.
Nous ne sommes pas opposés au blocage administratif de sites
Internet, qui fait partie de l’arsenal juridique permettant aux pouvoirs publics
de lutter contre telle ou telle infraction – je pense par exemple à la compétence
de l’ARJEL en matière de jeux en ligne. Nos inquiétudes portent sur la méthode
employée, et notamment sur le fait que la procédure ne prévoit pas
l’intervention d’un tiers. Nous craignons notamment les « effets de bord » et le
surblocage, c’est-à-dire une pratique qui conduise à bloquer dans les faits
davantage de contenus qu’initialement visé. Dailymotion s’est ainsi récemment
retrouvé intégralement bloqué en Inde dans le cadre de la mise en œuvre d’une
procédure similaire.

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