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soutenue par les occidentaux constitue davantage un regroupement de
milices territoriales qu’une force animée d’un projet à l’échelon national, et il
est probable que sa victoire conduirait à l’instauration d’un régime islamique
conservateur se rapprochant davantage de l’Arabie Saoudite que de la
Turquie. Selon certains analystes auditionnés par votre commission
d’enquête, il faut même considérer que l’ASL n’existe plus et qu’elle ne
devrait pas être comptée parmi les forces combattant en Syrie. Celles-ci
recouvrent désormais les katibas locales qui se battent pour la défense de leur
village, les Kurdes en lutte à la fois contre les djihadistes et pour leur
indépendance, et enfin des groupes islamistes radicaux.
Plusieurs facteurs rendent particulièrement difficile le règlement
de ces deux situations de crise prolongée.
Il faut tout d’abord noter que le phénomène de décomposition
étatique est un mouvement profond et ancien, qui a conduit à
l’affaiblissement des différents régimes de la région dès avant les printemps
arabes. Outre l’Irak et la Syrie, l’Afghanistan tout d’abord, puis le Liban, la
Palestine et la Libye ont vu l’essor de groupes armés non étatiques de plus
en plus puissants. Des tensions permanentes qui en résultent naissent des
zones de non-droit qui constituent des points de passage et d’échange et
fragilisent l’ensemble de la région. La sortie de la crise strictement syroirakienne doit dès lors nécessairement s’accompagner d’une consolidation
des États vulnérables à la contagion insurrectionnelle et à la menace
djihadiste. Au premier rang de ces pays figure le Liban, particulièrement
sensible à l’exacerbation des tensions entre sunnites et chiites et dont les
institutions sont en situation de paralysie, mais dont les forces armées
constituent un élément-clé pour contrer le chaos qui menace la région. La
situation est également préoccupante en Libye, État failli et territoire aux
mains de groupes islamistes – milices islamistes en Tripolitaine, Ansar alCharia en Cyrénaïque, AQMI au sud de Fezzan. Sont également concernés la
Jordanie, où la menace djihadiste est principalement endogène, et la Tunisie
- ainsi que l’a illustré de manière sanglante l’attentat commis le 18 mars 2015
au musée du Bardo.
D’une manière plus générale, la menace terroriste, désormais
globale, prospère partout où les États sont affaiblis 1 : non seulement au
Levant, en Libye et au Maghreb, mais aussi dans la zone sahélienne, la corne
de l’Afrique et au Yémen, pays considéré comme une base arrière du
terrorisme.
Il apparaît ensuite que la sortie des crises irakienne et syrienne ne
pourrait se faire sans une convergence entre les principaux acteurs
concernés. En Syrie, cela supposerait que les principaux pays voisins
Voir sur ce point les travaux de Gaïdz Minassian, notamment son ouvrage Zones grises : Quand
les États perdent le contrôle, éditions Autrement, 2011.
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