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Dès lors, la question de la « judiciarisation » revêt une importance
toute particulière pour les services de renseignement. En effet, s’il a
toujours été nécessaire pour ceux-ci de choisir à chaque instant entre saisir la
justice afin de mettre fin à une menace et attendre que l’intéressé soit
davantage engagé dans un parcours terroriste pour obtenir ensuite une
répression plus sévère, le risque accru de passage à l’acte par des individus
engagés dans ce que l’on a pu qualifier de « djihad en accès libre » incite les
services à demander l’ouverture d’une enquête de plus en plus tôt, au risque
que les personnes concernées échappent à la sanction. La question se pose en
particulier pour les personnes de retour de Syrie ou d’Irak, pour lesquelles il
est très difficile de recueillir des éléments sur leurs agissements dans ce pays,
et dont la dangerosité lorsqu’elles rentrent en France est des plus difficiles à
évaluer. De plus, du fait de la charge de travail liée au nombre d’individus à
surveiller en amont, la direction générale du renseignement intérieur (DGSI)
dispose sans doute de moins de moyens pour continuer à alimenter les
dossiers des personnes d��jà placées sous main de justice.
En outre, l’insuffisance d’un cadre juridique clair délimitant les
prérogatives des services, prévoyant un contrôle effectif et protégeant les
agents, rendait sans doute plus difficile la pleine mobilisation des services.
L’adoption du projet de loi sur le renseignement, en cours d’examen à
l’Assemblée nationale, devrait permettre de remédier à cette lacune.
Certaines difficultés que l’on pouvait croire surmontées sont
également réapparues dans la chaîne de la répression policière et
judiciaire. Ainsi, la fluidité du passage entre la phase de renseignement et
celle du traitement judiciaire est souvent insuffisante malgré la spécificité de
la DGSI, à la fois service de renseignement et d’enquêtes judiciaires. En
outre, il est nécessaire que les magistrats du pôle antiterroriste de Paris
puissent s’appuyer sur l’excellence des services d’enquête compétents en la
matière, au premier rang desquels la sous-direction antiterroriste de la
direction centrale de la police judiciaire, la section antiterroriste de la
direction de la police judiciaire de la préfecture de police et la DGSI, celle-ci
s’étant vu reconnaître un rôle de chef de file dans le domaine de la lutte
contre le terrorisme d’inspiration djihadiste. Or, la pratique de la co-saisine
de ces services semble engendre des dysfonctionnements.
Si l’organisation de la justice antiterroriste, marquée par la
spécialisation de la juridiction de Paris, semble pour sa part permettre de
traiter dans de bonnes conditions des affaires de terrorisme qui se
multiplient, la phase ultérieure d’incarcération suscite quant à elle de très
nombreuses interrogations, comme en témoigne le débat qui a suivi la
décision de regrouper certains détenus radicalisés au sein de la maison
d’arrêt de Fresnes. Les problèmes des prisons sont bien connus et ont été
dûment analysés par certains de nos collègues. La nécessité d’une prise en
charge particulièrement poussée des condamnés radicalisés fait ressortir
avec une acuité toute particulière ce qui manque encore dans nos