11.1.1.1.
Droit européen
En ce qui concerne la protection des lanceurs d’alerte, la Grande chambre de la Cour
de Strasbourg a établi les principes suivants dans son arrêt fondateur Guja c. Moldavie,
en date du 12 février 2008 :
« (...) [L’]article 10 s’applique également à la sphère professionnelle et (...) les fonctionnaires (...) jouissent du droit à la liberté d’expression (...). Cela étant, elle n’oublie pas
que les salariés ont un devoir de loyauté, de réserve et de discrétion envers leur employeur. Cela vaut en particulier pour les fonctionnaires, dès lors que la nature même de
la fonction publique exige de ses membres une obligation de loyauté et de réserve (...)
« La mission des fonctionnaires dans une société démocratique étant d’aider le gouvernement à s’acquitter de ses fonctions et le public étant en droit d’attendre que les
fonctionnaires apportent cette aide et n’opposent pas d’obstacles au gouvernement
démocratiquement élu, l’obligation de loyauté et de réserve revêt une importance particulière les concernant (...). De plus, eu égard à la nature même de leur position, les
fonctionnaires ont souvent accès à des renseignements dont le gouvernement, pour diverses raisons légitimes, peut avoir un intérêt à protéger la confidentialité ou le caractère
secret. Dès lors, ils sont généralement tenus à une obligation de discrétion très stricte.
« (...) En ce qui concerne les agents de la fonction publique, qu’ils soient contractuels ou
statutaires, la Cour observe qu’ils peuvent être amenés, dans l’exercice de leur mission, à
prendre connaissance d’informations internes, éventuellement de nature secrète, que les
citoyens ont un grand intérêt à voir divulguer ou publier. Elle estime dans ces conditions
que la dénonciation par de tels agents de conduites ou d’actes illicites constatés sur leur
lieu de travail doit être protégée dans certaines circonstances. Pareille protection peut
s’imposer lorsque l’agent concerné est seul à savoir – ou fait partie d’un petit groupe
dont les membres sont seuls à savoir – ce qui se passe sur son lieu de travail et est
donc le mieux placé pour agir dans l’intérêt général en avertissant son employeur ou
l’opinion publique. (...)
« Eu égard à l’obligation de discrétion susmentionnée, il importe que la personne concernée procède à la divulgation d’abord auprès de son supérieur ou d’une autre autorité
ou instance compétente. La divulgation au public ne doit être envisagée qu’en dernier
ressort, en cas d’impossibilité manifeste d’agir autrement (...). Dès lors, pour juger du
caractère proportionné ou non de la restriction imposée à la liberté d’expression du
requérant en l’espèce, la Cour doit examiner si l’intéressé disposait d’autres moyens
effectifs de faire porter remède à la situation qu’il jugeait critiquable.
« Pour apprécier la proportionnalité d’une atteinte portée à la liberté d’expression d’un
fonctionnaire en pareil cas, la Cour doit également tenir compte d’un certain nombre
d’autres facteurs. Premièrement, il lui faut accorder une attention particulière à l’intérêt
public que présentait l’information divulguée. La Cour rappelle que l’article 10 § 2 de
la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression
dans le domaine des questions d’intérêt général (...). Dans un système démocratique,
les actions ou omissions du gouvernement doivent se trouver placées sous le contrôle
attentif non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, mais aussi des médias et de
l’opinion publique. L’intérêt de l’opinion publique pour une certaine information peut
parfois être si grand qu’il peut l’emporter même sur une obligation de confidentialité
imposée par la loi (...) »
(CEDH, 12 février 2008, Guja c. Moldavie, no 14277/04, §§70-74).
Dans une autre affaire jugée en janvier 2013, la CEDH a étendu cette jurisprudence
aux mesures de surveillance secrète, en invalidant la condamnation d’un agent des services
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