Les interventions de la CNIL
Pourtant, la compilation des décisions de justice sous la forme de bases de
données et leur diffusion sur Internet soulèvent des interrogations particulières au
regard de la protection des données personnelles.
Dès 1985, la CNIL avait été saisie des questions soulevées par l’utilisation
des banques de données compilant les décisions de justice (cf. 6e rapport annuel
1985, p. 200). Le centre de documentation du barreau de Paris, qui offrait un accès
aux bases de données diffusées par minitel, avait en effet relevé qu’un grand nombre
d’interrogations des banques de données avaient pour objet de rechercher non pas
toute la jurisprudence sur tel problème de droit, mais bien plutôt toutes les décisions
se rapportant à une personne physique ou morale identifiée. D’outil de documentation, les banques de données juridiques devenaient ainsi de véritables fichiers de
renseignements sur les personnes.
Afin d’étudier ces questions, la Commission avait organisé, en juin 1985,
une table ronde réunissant les professionnels concernés, qui a été l’occasion de rappeler le droit reconnu à tout justiciable de revendiquer, au titre de la loi du 6 janvier
1978, l’anonymat des décisions de justice le concernant lorsqu’elles étaient diffusées
ou accessibles sur support numérique.
La problématique de l’utilisation des banques de données juridiques s’est
trouvée renouvelée avec le basculement de ces bases sur Internet. Les juridictions
(Conseil d’État, Cour de Cassation, Cour des comptes, cours d’appel ou tribunaux)
ou des éditeurs publics ou privés mettent en ligne sur Internet, de plus en plus fréquemment, des décisions de justice (jugements ou arrêts).
La CNIL, consciente que la poursuite de la réflexion qu’elle avait entamée en
1985 était devenue, à la veille de la mise en ligne gratuite de toutes les décisions de
justice significatives dans le cadre d’un « service public de l’accès au droit », un réel
enjeu de protection des données, a créé un groupe de travail chargé de procéder à
toute audition utile avant de proposer des orientations à la Commission. Ainsi, des
représentants du Conseil d’État, de la Cour de Cassation, de la Cour des comptes, de
la chancellerie et du secrétariat général du Gouvernement, mais aussi de plusieurs
éditeurs de banques de données de jurisprudence — les éditions Dalloz, la Gazette
du Palais, Jurisdata, les éditions Francis Lefebvre, les éditions Lamy et la société Transactive — ont été auditionnés.
Au vu des conclusions présentées par le groupe de travail, la Commission a
adopté, le 29 novembre 2001, une recommandation préconisant l’anonymisation
des décisions de justice librement accessibles sur Internet.
Dans sa recommandation, la CNIL souligne les risques qu’une libre diffusion
sur Internet de décisions de justice mentionnant l’identité des parties au procès ferait
naître pour les droits et libertés des personnes concernées : par la seule mécanique
des moteurs de recherche, c’est à un casier judiciaire universel, permanent et ouvert
à tous que l’on aurait à faire face.
La loi « informatique et libertés » ne s’applique pas aux personnes morales.
Pour les personnes physiques parties à un procès, la CNIL estime que la mise en ligne
de l’information peut conduire à une « peine d’affichage numérique ».
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CNIL 22 rapport d'activité 2001