14 juillet 2018

JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Texte 1 sur 160

Dans le même temps, le continent européen connaît, à ses portes, le retour de la guerre ouverte, des
démonstrations de force et une concentration de défis liés aux crises migratoires, aux vulnérabilités persistantes
dans la bande sahélo-saharienne ou à une déstabilisation durable au Proche-Orient et au Moyen-Orient. Par ailleurs,
les rives sud de la Méditerranée, les Balkans et l’Afrique subsaharienne requièrent une vigilance renforcée. Ces
tensions, avérées ou potentielles, s’ajoutent à celles que connaît l’Union européenne confrontée, depuis 2008, à des
doutes et à des contestations internes ou aux incertitudes sur la crédibilité des alliances.
Des défis plus lointains, notamment en Asie, sont également susceptibles d’avoir un impact croissant, non
seulement sur les alliés et les partenaires stratégiques de la France dans la région, mais également sur ses intérêts et
sur ceux de l’Europe.
En outre, les effets des dérèglements climatiques, la menace de conflits hydriques, les risques pandémiques, les
trafics et la criminalité organisée, accentués par les interdépendances qui découlent des échanges de personnes, de
biens et de données, constituent autant de menaces transnationales qui aggravent les tensions et multiplient les
vulnérabilités et les risques de déstabilisation. En pratique, cela place l’Europe au contact des crises internationales,
même les plus éloignées.
Réalités géostratégiques récentes rappelées par la Revue stratégique, cyberespace et champ de l’information
constituent, de même, des espaces aussi vulnérables qu’accessibles à des actions malveillantes ou des agressions,
qui exposent très directement les Etats, leur population, leurs services publics ou leurs entreprises à des dommages
potentiels de grande ampleur.
Cette dégradation de l’environnement sécuritaire se double d’une contestation du système multilatéral issu de la
guerre froide. Les mutations rapides de la hiérarchie de la puissance internationale, plus instable et imprévisible, se
manifestent par une compétition accrue, d’abord économique et technologique, mais qui s’étend de plus en plus au
domaine militaire.
L’affirmation d’un nombre croissant de puissances, établies ou émergentes, dans des régions sous tension
(Levant, golfe Arabo-persique, Asie), s’accompagne de politiques de rapports de forces, voire de fait accompli.
Elle nourrit également des logiques de compétition pour l’accès aux ressources et pour le contrôle des espaces
stratégiques, matériels et immatériels (maritime, aérien, exoatmosphérique, numérique). L’influence accrue des
acteurs non étatiques (organisations terroristes ou criminelles, puissantes multinationales, diasporas) accentue ces
dynamiques.
Parallèlement, les institutions et les normes internationales, chargées d’encadrer le recours à la force, voient leur
légitimité et leur action contestées ou contournées, y compris par de grandes puissances censées en être les
garantes. Leur affaiblissement pèsera durablement sur les relations internationales.
1.1.2. Des conflits, plus durs et plus ambigus, étendus à de nouveaux espaces
Dans le monde, les dépenses de défense et les arsenaux s’accroissent. Les grandes puissances accélèrent leurs
efforts de modernisation ou de rattrapage technologique, en les concentrant notamment sur les systèmes de haute
technologie.
La dissémination d’équipements conventionnels modernes ou la poursuite préoccupante des logiques de
prolifération des armes de destruction massive, comme de leurs vecteurs, permettent à des puissances plus
modestes, voire à des acteurs non étatiques (mouvements terroristes ou proto-étatiques), de disposer de moyens
militaires avancés, tandis que les nouvelles technologies, issues du secteur civil, rendent accessibles des capacités
dont seuls quelques Etats étaient dotés jusqu’alors.
Plus spécifiquement, le renouveau des capacités de défense russes s’accompagne d’une politique d’affirmation
militaire à l’égard de son voisinage et d’un recours préoccupant à des formes d’intimidation stratégique. En Asie, le
développement des capacités militaires chinoises sert également une politique de puissance, notamment en mer de
Chine, accroissant les tensions et fragilisant les équilibres régionaux.
Ces évolutions favorisent un durcissement généralisé des conflits, dégradant les conditions d’engagement des
forces françaises et de leurs alliés, désormais confrontés à des adversaires potentiels mieux armés et équipés. La
dissémination de systèmes conventionnels sophistiqués, tels que les systèmes de déni d’accès et d’interdiction de
zone (notamment défense sol-air) ou de capacités de frappe à distance (missiles balistiques ou de croisière),
représente notamment un obstacle nouveau à la liberté d’action de nos forces, contestant leur aptitude à entrer en
premier ou à mettre en œuvre leurs capacités de projection.
Cette dynamique de durcissement s’accompagne d’une accélération de la prolifération : banalisation de l’emploi
des armes chimiques, développement des risques biologiques, multipolarité nucléaire et hypothèses d’emploi de
capacités nucléaires tactiques, où les postures opaques de nouveaux acteurs rendent l’équation de la dissuasion plus
instable. La lutte contre la prolifération nucléaire s’impose comme une nécessité objective, alors que le Joint
Comprehensive Plan of Action (JCPOA), l’accord sur le programme nucléaire iranien, est fragilisé et que le défi
stratégique posé par la Corée du Nord se poursuit et vient bouleverser les équilibres stratégiques régionaux et, à
terme, globaux.
Combinées à des modes d’action innovants, ces évolutions tendent en outre à niveler les rapports de force et à
éroder les facteurs classiques, opérationnels comme technologiques, de supériorité militaire. Elles s’observent
d’ores et déjà dans tous les milieux de lutte traditionnels (terrestre, naval, aérien), notamment au travers de la
prolifération de systèmes dronisés, et s’expriment également dans les nouveaux champs de confrontation
stratégique.
Dans l’espace exoatmosphérique, les progrès technologiques duaux et la multiplication des acteurs soulèvent
ainsi le problème de l’arsenalisation et de l’occupation croissante de ce nouvel espace de confrontation stratégique.

Select target paragraph3