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Contestable dans son principe et dans ses formes, la « surveillance » du courrier privé semble n'avoir même pas eu le mérite
de l'efficacité. Si l'on tente de dresser le bilan de deux siècles
d'espionnage systématique, l'on s'aperçoit en effet que sa contribution à la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat fut assez mince,
même lorsque l'interception des messagers privés venait compléter
l'ouverture des « paquets » postaux : des arrestations d'espions
à la fin du xvie siècle, la découverte, à la même époque, des voies
d'acheminement des livres interdits en provenance de Hollande,
quelques « conspirations » sous la Restauration, des intrigues diplomatiques, l'interception d'imprimés politiques sous le Second
Empire, tout cela ne justifie pas une inquisition générale et permanente, ni ne peut faire oublier les excès et les intrigues engendrés
par le système du « Cabinet noir ».
Comment, d'ailleurs, celui-ci aurait-il été efficace ? Tout le
monde, et les « conspirateurs » les premiers, savait, avec Voltaire,
que le ministre chargé des Postes n'ouvrait jamais les lettres,
« excepté quand il avait besoin de savoir ce qu'elles contenaient ».
Les Cahiers de doléances des Etats généraux attestent que l'opinion dans son ensemble était au fait de cet espionnage « clandestin ».
Beaucoup de lettres, à toutes les époques de l'existence du ü Cabinet
noir », expriment la méfiance — et le mépris — de leurs auteurs
à l'égard de la surveillance dont ils savent être l'objet. D'après une
correspondance citée par M. Eugène Vaille, la Grande Mademoiselle
poussait l'ironie jusqu'à demander à Louvois, « qui a un très bon
esprit », d'ajouter au passage « un mot de conseil » à ses lettres
d'affaire... D'autres épistoliers écrivaient directement au Surintendant des Postes pour demander qu'on eût au moins la bonté de
leur faire parvenir leur courrier après l'avoir lu ! C'est dans le
même esprit que, sous le Second Empire. on appelait le « Cabinet
noir » le « Bureau de retard

Certes, chacun est libre de tirer du passé les leçons qu'il lui
plaît. Il semble cependant difficile de considérer que l'histoire du
, Cabinet noir » plaide en faveur du viol incontrôlé des communications privées. Et il est frappant, d'autre part, de constater qu'en
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