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Cette clandestinité, et l'absence de tout contrôle sur les activités du « Bureau du dedans » ne tardèrent pas à engendrer les
pires abus. Le « Cabinet noir » devint rapidement le moyen pour
les personnages irresponsables qui en avaient la charge — et le
bénéfice — de s'attirer la faveur du roi et de tirer profit de leur
connaissance des secrets privés, en pratiquant les plus basses
machinations.
Sous Louis XV et sous la Régence, en particulier, le « Cabinet
noir » fut l'enjeu de luttes d'influence sordides et se livra avec
un zèle tout particulier au jeu des intrigues de cour. On était
bien loin de la raison d'Etat : il s'agissait désormais de gagner la
confiance et la faveur du pouvoir et des gens en place en fabriquant au besoin des lettres compromettantes attribuées à ceux
que l'on voulait perdre. Selon Dupont de Nemours, Turgot fut la
victime d'une telle machination ; la calomnie relayait la délation !
Les inconvénients de tels excès n'échappaient d'ailleurs pas à
tous les contemporains, et Saint-Simon (1), auteur présumé du
projet de gouvernement du duc de Bourgogne », soulignait les
risques de ce « pernicieux usage de livrer le public et la fortune
de chacun aux commis de la poste, même aux ministres ». Aussi,
afin « (d'empêcher) à un ministre qui veut perdre quelqu'un ou
même à un commis de la poste » de faire un extrait faux d'une
lettre qui n'a jamais existé » et « de perdre à coup sûr et sans
recours qui bon leur semblera », proposait-il de soumettre l'ouverture des lettres, « s'il survenait des raisons de faire ouvrir les lettres
de quelqu'un », à une procédure destinée à éviter que le viol des
correspondances soit abandonné à l'initiative d'un organisme officieux et que leur contenu soit accessible à des personnes irresponsables. On peut exprimer quelques doutes quant aux garanties
offertes par cette procédure (l'ouverture des lettres devait être
subordonnée à un ordre du Conseil des Affaires étrangères donné
au Surintendant des Postes) — niais il est intéressant de voir mise
en lumière, pour la première fois, la nécessité de limiter strictement
les atteintes de la correspondance privée et de les entourer d'un
certain formalisme, afin d'éviter les fuites et les abus de pouvoir.
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