Contributions

des interceptions agitait alors l’Europe occidentale après la condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de plusieurs
de nos voisins (le Royaume-Uni notamment) puis de la France elle-même
par les arrêts Huvig et Kruslin, en avril 1990. Pareille sanction s’inscrivait d’ailleurs en cohérence avec les décisions judiciaires précédemment
rendues dans notre pays sur ces dossiers. Partant, l’arrêt précité de la
Cour de cassation exhortait le législateur à adopter une législation afin
de se mettre en conformité avec l’article 8 de la CEDH (infléchissant de la
sorte sa position antérieure, comme Jean Pradel l’a souligné 1).
Néanmoins, aucun contentieux n’avait émergé autour de la question des écoutes administratives, pourtant soumises aux mêmes carences
législatives. Si bien que les interprétations de l’article 66 pouvaient être
soit étendues à ce champ (au motif que l’intrusion est identique en police
judiciaire et administrative), soit considérées comme non pertinentes en
ce domaine (au plan doctrinal).
Sur ce point, le rapport de la Commission d’étude sur les écoutes
téléphoniques, remis à Pierre Mauroy le 25 juin 1982 par Robert Schmelck,
proposa une réponse tout à la fois tempérée et originale à la question des
autorités susceptibles d’autoriser une interception. Il signalait ainsi que
« même si l’intervention du juge peut se recommander du rôle imparti à
l’autorité judiciaire en matière de liberté individuelle par l’article 66 de
la Constitution, il reste que cet article laisse au législateur une marge
d’appréciation puisque l’autorité judiciaire doit intervenir “dans les
conditions définies par la loi”.» Fondamentalement hétérodoxe, pareille
exégèse constitutionnelle s’appuyait sur la jurisprudence de la CEDH qui
ouvrait la possibilité d’un contrôle ex post confié à une autorité non judiciaire pourvu qu’elle jouît des nécessaires garanties d’indépendance.
Dans cette optique, le rapport Schmelck suggérait la création d’une
AAI chargée non d’autoriser les interceptions mais de les contrôler, et
composée de quatre parlementaires, d’un conseiller d’État, de deux
membres de la Cour de cassation et de deux personnalités qualifiées. La
nature autant que la composition de l’instance préconisée démontraient
la prise de distance opérée avec une interprétation rigide de l’article 66.
Aujourd’hui encore, cette « audace » mérite d’être soulignée en ce qu’elle
répondait sans doute à la ferme volonté de maintenir les juges en dehors
du périmètre des écoutes administratives (cf. infra).
Dans une perspective moins utilitariste et beaucoup plus doctrinale, le Conseil d’État, lorsqu’il fut saisi pour avis en mai 1991 sur le projet
de loi relatif à l’interception des correspondances émises par la voie des
télécommunications, entérina ce même raisonnement. Dans son rapport
public de 1991, il estimait en effet « que les dispositions de l’article 66

1) Jean Pradel, « Écoutes téléphoniques et Convention européenne des droits de l’homme »,
Recueil Dalloz, 1990, p. 15-20.

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