Contributions
Un « équilibre » illusoire ?
La poussée sécuritaire post-2001 très dénoncée 1 dans les pays
occidentaux est patente. Elle a généré des théories sur l’état d’exception 2
alimentant une critique radicale de l’État de droit et des régimes démocratiques : ce n’est pas là le moindre de ses dangers. Le droit européen et
au-delà le droit de common law mettent en avant le principe de proportionnalité : dans un État de droit la violence et la coercition doivent être
exercées avec mesure, dans un esprit de « proportionnalité ». Il reste que
si la notion a envahi le vocabulaire publiciste, elle demeure bien faible
en pratique dans le droit français par rapport à d’autres pays. Ce principe
est aujourd’hui d’un point de vue normatif, cardinal en dehors de nos
frontières mais il est sans aucune portée en matière d’interceptions de
masse qui ne sont pas régulées.
Outre le fait que le droit international ne prohibe pas l’espionnage 3,
il ne connaît pas les données en dehors de la convention 108 ; de portée
géographiquement limitée. Dans cette situation que faire ? La question
de la régulation ne se pose pas car il n’existe ni juridiction, ni autorité,
ni même volonté. Les interceptions de données ne font d’ailleurs l’objet
de communiqués et (vraisemblablement) d’échanges sur ces pratiques
concurrentes entre les puissances que depuis que les États-Unis ont
été contraints de réagir aux indignations après 2013. À défaut, peut-on
espérer une forme d’auto-régulation de la part des « five eyes » et principalement des États-Unis, les seuls à ce jour clairement identifiés ?
La commission ad hoc nommée par le président Obama a remis en
décembre 2013 un rapport subordonnant les interceptions de données
à des impératifs de sécurité nationale 4 et indiquant clairement que les
pratiques : « must not be directed at illicit or illegitimate ends, such as the
theft of trade secrets or obtaining commercial gain for domestic industries » 5. Cette (mauvaise) plaisanterie n’était qu’un élément de langage
destiné aux chancelleries occidentales « alliées » et « partenaires ».
Les données ignorent la géographie 6. En mouvement permanent
ou stockées (provisoirement) dans des pays garantissant une moindre
protection juridique, elles cherchent en permanence à échapper à
1) Pour ne s’en tenir qu’à des auteurs français, cf. Eric Sadin, Surveillance globale. Enquête
sur les nouvelles formes de contrôle, Paris, Climats, 2009, 234 p. et Michaël Foessel, État de
vigilance. Critique de la banalité sécuritaire, Paris, éditions les bords de l’eau, 2010, 155 p.
2) Giorgio Amgaben, État d’exception. Homo sacer II/1, Paris, Seuil, « L’ordre philosophique », 2003, 151 p.
3) Fabien Lafouasse, L’espionnage dans le droit international, Paris, Nouveau monde éditions, « Le Grand jeu », 2012, 491 p.
4) The President’s Review group on Intelligence and Communications Technologies, Liberty
and Security in a Changing World, 12 December 2013, 304 p.
5) Ibid., p. 19.
6) On lira avec profit l’excellent : “Cyberespace : enjeux géopolitiques”, Hérodote, 1er-2e
trimestre 2014, no 152-153, 312 p.
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