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services de renseignement (1), « c’est cette condamnation qui avait incité le
gouvernement de Michel Rocard à préparer une loi relative aux interceptions de
sécurité, adoptée en juillet 1991. Le droit alors en vigueur manquait
singulièrement de précision puisque la légalité de ces interceptions de sécurité
reposait sur une simple interprétation très large de l’article 81 du code de
procédure pénale, autorisant le juge d’instruction à procéder à tous les actes
d’instruction qu’il estime utiles à la manifestation de la vérité. La Cour de
cassation y avait vu à plusieurs reprises la base légale d’une faculté laissée au
juge d’ordonner une écoute téléphonique et le droit interne s’en était alors
contenté. Mais, comme l’indiquait la CEDH, " les écoutes et autres formes
d’interceptions des entretiens téléphoniques représentent une atteinte grave au
respect de la vie privée et de la correspondance. Partant, elles doivent se fonder
sur une loi d’une précision particulière. L’existence de règles claires et détaillées
en la matière apparaît indispensable, d’autant que les procédés techniques
utilisables ne cessent de se perfectionner ". »
Dans son rapport législatif d’avril 2015, M. Jean-Jacques Urvoas, alors
rapporteur de ce qui allait devenir la loi du 24 juillet 2015, est à nouveau revenu
sur l’influence de la jurisprudence de la CEDH sur la législation française,
considérant que celle-ci « dessina[it] peu à peu le cadre juridique des
conversations téléphoniques, de fait incluses dans les notions de correspondance
et de vie privée contenues à l’article 8 de la Convention. Dès lors, leur
interception comme leur enregistrement par l’autorité publique constituaient une
ingérence dans l’exercice du droit garanti par ledit article ». Et le président
Urvoas d’ajouter : « La leçon dispensée sur les bords du Rhin fut vite entendue sur
les rives de la Seine » puisque le processus législatif conduisant à l’adoption de la
loi de 1991 s’ensuivit et que la presse fut même – grande première ! – invitée à
visiter les locaux du GIC quelques jours avant le début des débats législatifs à
l’Assemblée nationale.
M. Olivier Forcade (2) conforte cette analyse, soulignant que « sous les
injonctions d’arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, en 1990, le
premier défi pour l’État fut de faire entrer le secret dans le droit, sans définition
publiquement assumée du cadre et des applications concrètes de cette évolution
initiale. (…) En plaçant le Groupement interministériel de contrôle (GIC) sous
contrôle externe d’une Commission nationale de contrôle des interceptions de
sécurité (CNCIS), la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des
correspondances émises par les voies des télécommunications touchait à
l’autonomie de " l’État secret ", entendu au sens des activités publiques secrètes.
Celle-ci fut fortement portée par le Premier ministre Michel Rocard au sortir
d’une décennie 1980 qui avait connu le dévoilement d’activités de renseignement
dans une publicité, devant l’opinion publique nationale ou internationale, qui
n’avait pas nécessairement été recherchée ».
(1) Rapport d’information du 14 mai 2013, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur
l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, page 31.
(2) Le droit du renseignement, ibid., page 22.