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AVE RTISSE MENT MÉTHO DOLOGIQUE
Héritage fondamental de la Révolution française, la publicité des débats a
forgé une certaine philosophie de l’action parlementaire qui se veut la plus
transparente possible à l’égard du citoyen. Il s’agissait ainsi, à l’origine, de rompre
avec l’arbitraire absolutiste en démocratisant la vie politique. Dans ces conditions,
le Parlement ne saurait être, a priori, le lieu du secret, quel qu’il soit. De fait,
l’exécutif exerce un véritable monopole sur celui-ci, sur sa préservation et sur sa
perpétuation dans l’intérêt de l’État, voire de la raison d’État. Aussi peut-on
légitimement évoquer une culture exécutive qui s’opposerait à une culture
parlementaire : deux approches dont les postulats diffèrent radicalement et qui se
sont bien souvent révélées antagonistes, dans le cadre d’un affrontement qui a
tourné au profit de la première.
Aussi, quand l’Assemblée nationale entend se pencher sur les enjeux
relatifs au renseignement, par essence et nécessité secrets, elle peut paraître
infondée à le faire et illégitime dans ses prétentions, tant ce domaine relève d’un
champ éminemment régalien. Ce sentiment est si profondément ancré dans notre
culture politique que les parlementaires eux-mêmes se sont longtemps interdit
toute initiative en la matière ou n’ont entrepris dans ce champ d’activités que de
timides incursions demeurées sans lendemain. De leurs rangs ont d’ailleurs
régulièrement émané les condamnations les plus dures, des sénateurs ayant
notamment considéré que la « communication de l’état des dépenses se rattachant
à des opérations en cours […] compromettrait la sécurité » (1) de celles-ci. Ils
accréditaient ainsi l’idée de Cocteau selon laquelle un secret revêt toujours la
forme d’une oreille, surtout lorsqu’il est détenu par un élu de la Nation. La place
croissante prise par les médias dans notre vie politique, le zèle dont ont fait preuve
les parlementaires afin de compenser par une théâtralisation exacerbée la faiblesse
de leurs prérogatives sous la Cinquième République ont contribué à renforcer ce
sentiment.
Pourtant l’article 33 de la Constitution, qui établit la publicité des débats,
prévoit également la faculté que détient chaque assemblée de se réunir en comité
secret (2), preuve que le système en vigueur est plus souple qu’on ne veut bien le
prétendre. À ce titre, certains parlementaires ont pu et peuvent encore bénéficier
d’informations classifiées sans qu’il n’en découle pour autant de fuites dans les
gazettes. De surcroît, des élus de la Nation siègent au sein de la commission
nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), de la commission
consultative du secret de la défense nationale (CCSDN), de la commission de
vérification des fonds spéciaux (CVFS) ou encore de la délégation parlementaire
(1) Saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 décembre 2001 présentée par plus de soixante sénateurs,
en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2001-456 DC.
(2) Formation utilisée pendant la Première guerre mondiale, la dernière réunion tenue suivant ces modalités
remontant au 19 avril 1940.