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b) La spécificité du contrôle de l’usage des fonds spéciaux
Les « fonds secrets » ont longtemps représenté un élément constitutif de la
souveraineté absolue de l’État. Pourtant, comme l’ont rappelé Jacques Buisson et
Xavier Cabannes (1), chaque assemblée, sous la Restauration et la Monarchie de
Juillet, créait une commission spéciale composée de deux membres auxquels il
incombait de réaliser le contrôle de ces masses financières. Lors de l’examen du
budget, l’un des deux parlementaires se présentait à la tribune et déclarait sur
l’honneur que leur usage avait été convenable.
Étonnamment, la République ne se conforma pas à cet usage, déniant au
pouvoir législatif ce que la monarchie lui avait accordé : la loi du 27 avril 1946 se
contenta de rendre publique l’existence et l’utilisation par le pouvoir exécutif de
ces fonds qui, n’étant plus secrets, prirent en conséquence le nom de
« spéciaux » (2). Cependant, le texte législatif n’envisageait aucun contrôle en
dehors du principe de responsabilité du Gouvernement devant le Parlement. Puis
le décret n° 47-2234 du 19 novembre 1947 instaura une commission de
vérification de l’usage de ces fonds par le SDECE (service de documentation
extérieure et de contre-espionnage).
Composée d’un Président de chambre à la Cour des comptes (président de
la commission) et de deux commissaires nommés par décret du Président du
Conseil parmi les membres du Conseil d’État, de la Cour des comptes ou de
l’inspection générale des finances, la structure était chargée de vérifier l’utilisation
des fonds, de remettre au Président du Conseil un rapport sur les conditions
d’emploi des crédits et d’établir un procès-verbal constatant que les dépenses
correspondaient bien aux pièces justificatives. Ce dernier document était remis au
Président du Conseil et au ministre des Finances, puis transmis à la Cour des
comptes, qui certifiait, dans sa déclaration générale de conformité, que le montant
qui y figurait correspondait bien aux sommes décaissées.
La Commission était dotée de larges prérogatives dans la mesure où elle
pouvait même procéder à la vérification de l’état sommaire des dépenses des
opérations en cours. Elle avait également la faculté de déléguer l’un de ses
membres pour réaliser des enquêtes dans le but de contrôler les faits retracés dans
les documents comptables présentés par le SDECE lors de réunions prévues à cet
effet.
L’instance fonctionna dans la plus parfaite discrétion jusqu’à sa disparition
en 2001. Toutefois, l’utilisation des fonds spéciaux était soumise à un régime
dérogatoire aux règles de la comptabilité publique : pas de séparation entre
(1) Jacques Buisson et Xavier Cabannes, « Les fonds spéciaux et le droit public financier », Petites affiches,
3 août 2001, n° 154, p. 15.
(2) Le premier alinéa de l’article 42 de la loi de 1946 limitait l’ouverture des crédits de fonds spéciaux au seul
budget du Premier ministre qui était chargé de mettre à la disposition des ministres les dotations
nécessaires au fonctionnement de leur département. Les dispositions qui prévoyaient l’établissement d’un
décret de quitus mentionnant, pour chaque ministre, les sommes reçues, les sommes dépensées et le reliquat
n’ont jamais été appliquées.

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