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de constitutionnalité : « Considérant que la classification d’un lieu a pour effet de
soustraire une zone géographique définie aux pouvoirs d’investigation de
l’autorité judiciaire ; qu’elle subordonne l’exercice de ces pouvoirs
d’investigation à une décision administrative ; qu’elle conduit à ce que tous les
éléments de preuve, quels qu’ils soient, présents dans ces lieux lui soient
inaccessibles tant que cette autorisation n’a pas été délivrée ; que, par suite, en
autorisant la classification de certains lieux au titre du secret de la défense
nationale et en subordonnant l’accès du magistrat aux fins de perquisition de ces
mêmes lieux à une déclassification temporaire, le législateur a opéré, entre les
exigences constitutionnelles précitées [entre le droit des personnes intéressées à
exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable ainsi que la
recherche des auteurs d’infractions et les exigences constitutionnelles inhérentes à
la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation], une conciliation qui est
déséquilibrée » (1).
En définitive, cette censure n’aura pas constitué un handicap majeur pour
les services de renseignement. Ils ont effectué, en conséquence, un travail
d’identification très précis des pièces abritant des éléments classifiés pour se
conformer à la décision du Conseil constitutionnel.
Les menaces s’accumulent sur nos services en raison d’un trop grand
éparpillement des règles juridiques qui régissent leur action. Des dispositions
éparses gouvernent les écoutes téléphoniques, l’usage d’une fausse identité,
l’utilisation de rares moyens spéciaux, le contrôle des services, la protection des
agents. Il serait possible de s’en satisfaire si d’importantes lacunes ne venaient
handicaper l’action des différentes instances concernées et la soumettre à une
réelle précarité juridique. Cette conjonction de facteurs milite donc en faveur de
l’élaboration d’une loi spécifique au monde du renseignement, qui reprendrait et
compléterait les dispositions actuelles.
D. LÉGIFÉRER, UNE NÉCESSITÉ POUR PROTÉGER LES PERSONNELS ET
SÉCURISER LES OUTILS
Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 l’avait
indiqué : « Les activités de renseignement ne disposent pas aujourd’hui d’un
cadre juridique clair et suffisant. Cette lacune doit être comblée (2). » Toutefois,
légiférer en la matière ne peut se concevoir sans définir au préalable la philosophie
qui doit sous-tendre les éventuels ajustements à opérer puisque, dans le domaine
qui nous occupe ici, les sociétés sont confrontées à deux exigences contradictoires.
D’un côté, la singularité des services et de leurs activités justifie que les
règles classiques de la responsabilité démocratique soient aménagées. Et de
l’autre, le contrôle de leur bon fonctionnement n’est concevable que dans la
mesure où l’on s’applique à déterminer avec précision les missions qui leur revient
(1) Décision n° 2011-192 QPC du 10 novembre 2011, Mme Ekaterina B., épouse D., et autres.
(2) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, Paris, Odile Jacob/La Documentation française, 2008,
p. 142.