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L’AFFAIRE DES FADETTES DE LA DCRI
En application des articles 20 et 22 de la loi de juillet 1991 relative aux interceptions de
sécurité (1), les services de renseignement avaient pris l’habitude d’adresser directement leurs
réquisitions de données techniques aux opérateurs téléphoniques sans passer par l’intermédiaire du
GIC.
Or, en juillet 2009, Jean-Louis Dewost, président de la CNCIS, adresse une
recommandation au Premier ministre pour demander que les opérateurs téléphoniques ne répondent
plus directement aux services de police. Sa requête est appuyée par le général Baillet, directeur du
GIC, selon lequel les services doivent passer par son organisme pour obtenir des « fadettes ».
En réaction, les services se mobilisent et obtiennent que soit publiée sous la signature du
directeur de cabinet du Premier ministre une première circulaire datée du 17 février 2010. Celle-ci
signale que les dispositions de la loi de 1991 « ne concernent pas les prestations demandées dans
le cadre de l’article 20 [(soit pour la « défense des intérêts nationaux »)] qui peuvent être recueillies
auprès des opérateurs par les ministères de l’Intérieur et de la Défense ».
En conséquence, trois fonctionnaires de la DCRI se voient habilités à traiter directement
avec les opérateurs par le directeur du cabinet du ministre de l’Intérieur qui adresse en ce sens un
courrier aux entreprises concernées.
Le 13 septembre 2010, Le Monde accuse la DCRI d’avoir cherché à identifier la source des
informations qu’il a publiées sur l’affaire dite « Woerth-Bettencourt » en se procurant les fadettes de
David Sénat, correspondant présumé de l’auteur de l’article incriminé. Une plainte contre X pour
violation du secret des sources sera ensuite déposée par le quotidien.
Le directeur général de la Police nationale, Frédéric Péchenard, confirme alors dans un
communiqué que des vérifications sur les fadettes de David Sénat ont été réalisées au titre de
l’article 20 de la loi de 1991 « dans le cadre de sa mission de protection de la sécurité des
institutions », et il évoque la consultation de la personnalité qualifiée de la CNCIS.
Pourtant, dès le lendemain, Rémi Récio, délégué général de la CNCIS, conteste cette
version. À ses yeux, l’article 20 a été « utilisé mal à propos, il a trait à des opérations techniques et
n’a pas vocation à s’intéresser à des cas particuliers », tandis que la personnalité qualifiée de la
CNCIS n’agit qu’en matière de lutte antiterroriste.
Si Rémi Récio a raison de signaler que la procédure de la personnalité qualifiée ne saurait
être invoquée en la matière, à ce stade du scandale, la question demeure de savoir si l’accès aux
fadettes de David Sénat correspondait à la défense d’un intérêt national. Si c’est le cas, la procédure
mise en œuvre était légale au regard des articles 20 et 22 ainsi que de la « circulaire Faugère » du
17 février, que publie d’ailleurs fort opportunément pour la DCRI le Canard enchaîné dans son
édition du 29 septembre 2010.
Face à la polémique suscitée, les services du Premier ministre publient, début octobre, une
seconde circulaire précisant que « l’article 20 de la loi de 1991 sur les interceptions de sécurité ne
peut être invoqué pour recueillir des données personnelles ». Dès lors, plus aucun des trois
fonctionnaires de la DCRI ne peut s’adresser directement aux opérateurs téléphoniques.
Or, on apprendra par la suite que la demande ne portait pas sur les fadettes de David
Sénat, mais sur celles du journaliste Gérard Davet. Cet élément ouvre un autre débat autour de la
violation du secret des sources qui laisse pendant le premier concernant l’adéquation d’une enquête
sur David Sénat avec la défense des intérêts nationaux. Cet épisode aura néanmoins permis
d’illustrer le caractère problématique de l’existence de deux régimes distincts en matière de
réquisition de donnés techniques.
(1) Article 22 devenu l’article L. 244-2 du code de la sécurité intérieure.