Contribution de Bénédicte FAUVARQUE-COSSON

Surtout, avec les tensions géopolitiques actuelles aux portes de
l’Europe, une réglementation qui nuirait aux capacités opérationnelles
du renseignement français risquerait tout simplement d’être ignorée. En
pratique, l’obligation de demander aux juges ou à toute autre autorité
l’autorisation de procéder légalement à des interceptions de données
peut déjà être contournée par l’usage de logiciels malveillants de type
Babar, Evil Bunny ou Casper. La paternité de ces programmes espions
ne pouvant être prouvée de manière irréfutable 1, comment sanctionner
les auteurs de tels « malwares » lorsqu’ils violent le cadre réglementaire
national ou européen ? Derrière la problématique de l’attribution et de la
répartition des responsabilités, c’est celle de l’efficacité du droit dans un
monde dominé par les tensions politiques et l’innovation technologique
qui resurgit 2. Ce qui n’empêche pas la société civile ainsi que les juristes
de s’emparer de ces questions et de contribuer à promouvoir un modèle
humaniste, qui respecte l’individu tout en garantissant un équilibre avec
les autres libertés fondamentales et la sécurité.
Un tel projet, idéalement international et non seulement européen,
se forme. En 2014, le sommet qui s’est tenu sous l’égide de la présidente brésilienne, a rassemblé près de 900 participants, représentants
des gouvernements de 85 pays, du secteur privé, de la société civile ou
d’institutions techniques 3. Les participants ont condamné l’espionnage
sur le Web et demandé que la collecte et l’utilisation de données personnelles par des acteurs étatiques et non étatiques soient soumises au
cadre international des droits de l’homme. La déclaration finale a posé
les jalons d’une gouvernance mondiale d’Internet (NETmundial) et du
développement futur du Web. On y lit que la gouvernance d’Internet doit
tendre vers « un réseau unique, interopérable, flexible, stable, décentralisé, sûr, interconnecté ». Cette conférence ouvre une voie internationale,
dans laquelle l’Europe doit jouer un rôle de premier plan 4.
Les pratiques d’espionnage ont suscité un flux de réprobations
venues du monde entier et particulièrement de l’Europe. Une sorte de
coutume internationale se forme. Il devient possible de bâtir un cadre

1) http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/03/05/casper-le-logiciel-espion-cousin-debabar-qui-surveillait-la-syrie_4586723_4408996.html
2) L. Lessig, “Code is law”, préc.
3) Il s’agit là d’un bel exemple de « gouvernance multiparties prenantes » (multistakeholders), avec aussi toutes ses limites, en matière d’efficacité (voir à cet égard les déceptions
exprimées à l’issue de ce sommet, notamment par la Quadrature du Net).
4) La proposition n° 1 du rapport d’information du Sénat préconise « d’inviter les États
membres de l’Union européenne à s’entendre pour proposer la consécration des principes
du NETmundial de São Paulo, à la fois par un traité international ouvert à tous les États
et par une forme de ratification en ligne par les internautes ». Le rapport ajoute : « l’Union
européenne devrait prendre l’initiative de le proposer à ses partenaires, à commencer par
les États-Unis » (164). Ce rapport insiste sur le rôle de l’Union européenne pour une gouvernance garantissant un Internet ouvert et respectueux des droits fondamentaux et des
valeurs démocratiques.

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