Avant-propos

Isabelle Falque-Pierrotin,
présidente de la CNIL
Il veut donc avoir une vie en ligne mais aussi plus de transparence et plus de maîtrise sur ses données. On a vu la
confusion et la méfiance suscitées par le « bug Facebook »
en septembre 2012. Faux bug informatique mais vrai
bug psychologique ! Quelques semaines plus tard, c’est
Instagram qui a dû faire machine arrière après le tollé provoqué par l’annonce de ses nouvelles conditions générales
qui le rendait propriétaire des photos de ses clients.
Les acteurs économiques doivent réaliser qu’en procédant à marche forcée, ils installent un inconfort, un déficit
de sécurité dans l’esprit de leurs clients qui peuvent se
retourner contre eux de façon brutale. L’innovation impose
souvent la rupture, ou au moins de rompre avec des règles
établies. Mais un modèle économique fondé sur l’innovation doit reposer sur la confiance et la transparence.
Lorsque la confiance est rompue, le modèle économique
se fragilise.
On le voit, la protection des données personnelles est
en train de rentrer dans le débat concurrentiel ; loin d’être
un frein, la protection des données peut aujourd’hui être
considérée et présentée comme un atout commercial.
Opposer l’innovation et la protection des données est
dès lors une vue simpliste et à très court terme qui ne
reflète pas la complexité de l’écosystème numérique et
les attentes du consommateur.

Au même moment, une autre bataille a lieu
sur le terrain géostratégique.
À Bruxelles, les différents blocs géographiques
se font face et s’affrontent pour élaborer le cadre
juridique européen de la protection des données
du XXIe siècle. S’il en était besoin, l’importance
des enjeux stratégiques peut se mesurer aux 3000
amendements déposés sur le projet de règlement.
De même, par le déploiement d’une armée de lobbys qui, de mémoire de parlementaires européens,
n’avait jamais envahie Bruxelles à ce point. Pour
l’Europe, le moment est en effet historique et le
défi est grand. Elle doit moderniser son modèle
et le rendre compétitif, par rapport aux initiatives
étrangères comparables, tout en réaffirmant la
protection des données personnelles en tant que
droit fondamental. Elle doit concilier croissance
économique et libertés.
Dans cette bataille, la CNIL, aux côtés de ses
homologues européens, ne ménage pas ses efforts. Elle a
mobilisé les parlementaires, le gouvernement, ses homologues pour expliquer, convaincre et proposer des alternatives allant dans le sens d’une gouvernance européenne
décentralisée reposant sur des autorités puissantes évoluant à armes égales et coopérant fortement entre elles.
L’année 2013 sera déterminante car le texte européen
pourrait être adopté tout comme les cadres du Conseil de
l’Europe, de l’OCDE et de l’APEC.
Au-delà de ces affrontements, des questions fondamentales émergent et la CNIL souhaite lancer le débat.
Depuis quelques semaines en effet se multiplient dans
les journaux français et internationaux des analyses sur
le rôle croissant des données dans le développement de
l’économie numérique et notamment du Big data et, face
à ces belles promesses économiques, le débat public se
noue sur le meilleur cadre de régulation souhaitable, le
plus à même d’assurer le développement de celles-ci.
Pour certains, une régulation excessive des données
personnelles handicaperait les acteurs français dans l’élaboration de nouveaux services alors même que nos concitoyens ne s’inquiètent pas outre mesure de la protection
de leur vie privée. Nous devrions au contraire « libérer »
les données, et ainsi favoriser la croissance.

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