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induirait un « transfert de responsabilité » du pouvoir exécutif au pouvoir
judiciaire selon les termes employés par le rapport Schmelck. Au demeurant, les
atteintes aux libertés individuelles relèvent des articles 2 et 4 de la Déclaration des
droits de l’Homme et du citoyen et non de l’article 66 de la Constitution, interprété
par le Conseil constitutionnel comme un habeas corpus. Dans les faits, le juge
administratif est donc parfaitement compétent en matière d’atteinte à la liberté
d'aller et venir, à l'inviolabilité du domicile privé, au secret des correspondances et
au respect de la vie privée, soit le cœur de l’activité des services de renseignement.
Sur ce point, la jurisprudence constitutionnelle est constante depuis 1999 et
invite donc à recourir au modèle abouti de l’AAI. Au surplus, peu de pays ont opté
pour l’entremise du juge (à l’image de l’Espagne et, dans une moindre mesure, de
la Norvège). Car, indépendamment des questions constitutionnelles, les impératifs
incontournables de transparence et de publicité inhérents au monde judiciaire se
heurtent au nécessaire secret entourant les activités de renseignement.
- Par ailleurs, les AAI ont prouvé, depuis leur création en 1978 avec la
CNIL, qu’elles représentaient les instances idoines pour réaliser un contrôle
réclamant un haut degré de technicité, un investissement à plein temps et une
capacité à connaître d’éléments protégés par le secret de la défense nationale.
- D’autant qu’elles œuvrent dans la plus parfaite indépendance en raison de
leur composition, de l’irrévocabilité des mandats de leurs membres, de
l’impossibilité pour le Gouvernement de leur transmettre des instructions…
Tout incite donc à recourir à ces instances, dotées de toutes les garanties
d’indépendance et de compétence technique. Certains de nos voisins à l’instar de
l’Allemagne ou la Belgique ont ainsi opté pour une commission administrative
dépendant du Parlement73, tandis que le Royaume-Uni s’en remet à un hautfonctionnaire (le « commissionner ») qui agit en toute indépendance et peut saisir
un tribunal spécial en tant que de besoin.
Pour autant, l’efficacité de la CNCIS ne tient pas seulement à son
architecture administrative. Elle la doit aussi à ses modalités de fonctionnement qui
la conduisent à se consacrer aux seules fonctions d’avis et de contrôle. En effet, en
1991, le Conseil d’État n’a pas admis qu’il soit octroyé à cette dernière le pouvoir
d’ordonner au Premier ministre d’interrompre une interception de sécurité
considérée comme illégale au motif que l’article 20 de la Constitution confie
l’administration au seul Gouvernement74. Les prérogatives de l’instance ont donc
clairement été établies, un clair partage des tâches établi qui concilie l’efficacité et
les impératifs démocratiques.
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La « commission G10 » en Allemagne, la « commission BIM » en Belgique.
Conseil d’État, Rapport public 1991, Paris, La documentation française, 1992, p. 62.