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« Puisque l’application de mesures de surveillance secrète des communications
échappe au contrôle des intéressés comme du public, la « loi » irait à l’encontre de
la prééminence du droit si le pouvoir d’appréciation accordé à l’exécutif ne
connaissait pas de limites. En conséquence, elle doit définir l’étendue et les
modalités d’exercice d’un tel pouvoir avec une netteté suffisante – compte tenu du
but légitime poursuivi – pour fournir à l’individu une protection adéquate contre
l’arbitraire69. »
Le texte de loi devra donc préciser en quoi la politique publique du
renseignement, compétence exclusive de l’État face aux velléités du secteur privé,
participe à la stratégie de sécurité nationale telle que la définit l’article L.1111-1 du
code de la défense. Il devra aussi indiquer sans ambiguïté que les services
compétents recherchent, collectent, exploitent et diffusent des informations afin de
lutter contre des menaces mais également pour disposer d’une connaissance de la
situation et des acteurs internationaux. Car, pour la DPR, notre appareil de
renseignement ne saurait revêtir une dimension purement défensive (entraver les
menaces que représentent l’espionnage, l’ingérence, le terrorisme, la subversion
politique violente, la grande criminalité organisée et la grande délinquance
financière internationales) ; il doit faire montre de capacités analytiques et
prospectives afin de s’insérer pleinement dans le processus décisionnel politique.
Dans le strict cadre de ces missions, inévitablement encadrées par une
pluralité de contrôles, les administrations du renseignement pourront alors mettre
en œuvre des techniques dérogatoires du droit commun destinées à déjouer des
menaces.
Ce dernier point paraît absolument cardinal tant il distingue la philosophie
française du renseignement, en particulier de la philosophie états-unienne. Dans le
cas de notre pays, il s’agit de lutter, en recourant à des techniques contingentées et
limitées, contre une menace préalablement identifiée et correspondant au cadre
légal. À l’inverse, aux États-Unis, où règne une « idéologie de la capture »70, le
dispositif de renseignement est tourné vers la détection de la menace elle-même et
suppose un espionnage massif, sans réelle restriction autre que celle induite par les
limites technologiques. La loi devra donc affirmer ce principe : jamais nos
concitoyens ne pourront faire l’objet d’un espionnage massif puisqu’ils ne sauraient
être suspectés de constituer une menace potentielle pour l’État et, par voie de
conséquence, pour eux-mêmes.
En France, le renseignement n’incarne pas sa propre finalité mais un moyen
pour préserver notre modèle démocratique. La définition précise des missions de
nos services participe ainsi à la consécration de cette philosophie.

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CEDH, Malone c. Royaume Uni, 2 août 1984.
Pierre-Antoine Chardel, « Données personnelles et devenir des subjectivités, questions d’éthique », Sécurité et
Stratégie, n°17, octobre-décembre 2014, p. 5-11.

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