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FILIÈRES « DJIHADISTES » : POUR UNE RÉPONSE GLOBALE ET SANS FAIBLESSE
dangerosité avérée », l’analyse effectuée à un instant donné n’est pas
intangible et ne saurait être une « science exacte, certains d’entre eux passant de
l’une à l’autre catégorie ». À titre d’illustration, un membre d’un service de
renseignement entendu par votre commission d’enquête a relevé que, dans le
cadre d’une classification en codes couleur 1, « l’expérience montre qu’un code
vert peut, du jour au lendemain, passer au rouge, ce qui implique beaucoup de suivi
de la part du service ».
Les signalements doivent être analysés avec rigueur et nécessitent
un grand discernement, afin de vérifier qu’il ne s’agit pas de règlements de
compte liés à des différends personnels. Le nombre croissant de
signalements ne facilite pas cette évaluation, comme cela a été précisé à votre
commission d’enquête, car les services doivent faire face à cette charge
« alors que la détection du passage à l’acte est particulièrement difficile à opérer ».
La pratique de la dissimulation 2 promue par les organisations terroristes
constitue un autre défi pour les services de renseignement puisque les
candidats au djihad sont invités à masquer tout signe ou tout indice qui
ferait apparaître au grand jour le processus de radicalisation.
Cette multiplication des cibles à suivre a conduit les services du
Ministère de l’intérieur à se partager le travail pour assurer la couverture la
plus large possible. Alors que le SCRT n’avait, à l’origine, vocation à couvrir
que le champ de l’islam « institutionnel », ce service a été impliqué dans le
suivi des personnes signalées au titre de la lutte contre la radicalisation, aux
côtés de la DGSI, justifiant une diffusion d’informations systématique du
CNAPR vers les états-majors des deux services. En vertu de ce partage, la
DGSI effectue le suivi des cas jugés les plus dangereux ou ayant des
perspectives de judiciarisation. Le SCRT assure un suivi des personnes
« velléitaires » ou peu dangereuses. L’action complémentaire des deux
services justifie une coordination fine matérialisée par la création de bureaux
de coordination de la DGSI au sein des directions zonales du SCRT, afin que
la DGSI ait accès aux informations sur les cas pris en charge par le SCRT ;
l’échange réciproque d’informations n’étant cependant pas toujours possible
compte tenu du caractère confidentiel des informations traitées par la DGSI.
Ces difficultés d’évaluation se posent aussi dans le domaine
judiciaire pour les personnes interpellées à leur retour de Syrie et faisant
l’objet d’une procédure. Une personne entendue par votre commission
d’enquête a mis en évidence le caractère limité des informations disponibles
sur les agissements d’individus de retour de Syrie. Pour les personnes mises
Code rouge pour un sujet inquiétant qui implique une surveillance importante, code orange pour
ceux qui sont susceptibles de basculer et le code vert pour les convertis ne présentant pas de risques .
2 Comme le précise Pierre Conesa dans son rapport, « la nécessité de la guerre autorise la
Taqiyya, le droit au mensonge. Bien que le concept soit né dans le chiisme, sorte de réaction
de survie d’une minorité opprimée, il a été adopté par les salafistes en prison pour éviter le
repérage, ou par les candidats terroristes pour préparer l’action… Mohamed Merah a très
bien réussi à leurrer les services de la DCRI après son retour du Pakistan, au point que
certains pensaient pouvoir le "recruter" ».
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