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FILIÈRES « DJIHADISTES » : POUR UNE RÉPONSE GLOBALE ET SANS FAIBLESSE
rôle de déclencheur ou de catalyseur de la radicalisation face à l’émotion suscitée
par des situations régionales considérées comme injustes. Le discours salafiste1
est en partie fondé sur la dénonciation de ces situations ; en ce qu’il est
principalement émotionnel et donc universel, il permet ainsi une appropriation
aisée par les combattants étrangers.
Le discours des terroristes islamistes passé à l’acte sur le territoire
français fait ainsi clairement et directement référence à la situation
internationale. Les frères Kouachi comme Amedy Coulibaly (qui a été joint
par une chaîne de télévision lors de la prise d’otages du 9 janvier 2015),
inscrivaient leur action dans une logique politique, citant le Mali, l’Irak ou,
pour Coulibaly, la Palestine. Dès le début des années 2000, le projet de la
filière djihadiste des Buttes-Chaumont, qui visait à rejoindre l’insurrection
en Irak pour venger le peuple irakien humilié, était construit en réaction à
l’intervention américaine sur son territoire. Aujourd’hui, la forte attraction
exercée sur les aspirants djihadistes par la crise syro-irakienne s’explique
largement par le fait que le sort de l’Irak puis de la population syrienne
sont perçus comme l’image même de l’oppression universelle des
musulmans. La situation palestinienne joue le même rôle.
Symboles de l’arbitraire, du déni de justice ainsi que de l’oppression
occidentale, les prisons de Guantanamo et d’Abu Grahib et les images qui
leur sont associées – traitements dégradants, privations diverses, actes
délibérés d’humiliation, simulations de noyade et autres actes s’apparentant
à de la torture – cristallisaient également le sentiment d’assister à une
véritable croisade menée contre l’islam. La mise en scène des exécutions de
Daech, dont les victimes portent la tenue orange des détenus de
Guantanamo, témoigne de la force de cette image chez les personnes
radicalisées. L’existence de ces prisons, en alimentant le ressentiment contre
l’Occident, constituerait l’un des outils les plus efficaces au service de la
propagande des filières djihadistes.
Le sentiment d’injustice serait renforcé par l’illisibilité, voire
l’incohérence de la politique étrangère de la France et des puissances
occidentales2. Celle-ci serait interprétée comme l’application en pratique
d’un « double standard » entre des situations ne différant que par la nature
des intérêts occidentaux y afférents. Cette interprétation est renforcée par le
sentiment largement partagé que l’engagement occidental dans la guerre
s’est toujours fait, au cours des dernières décennies, à l’encontre des pays
musulmans (Afghanistan, Irak, Mali, etc.), ce qui alimente l’argumentation
autour du devoir religieux de défendre un islam en proie aux attaques
systématiques de puissances chrétiennes ou athées.
Selon les spécialistes auditionnés par votre commission d’enquête, le salafisme constitue une
idéologie de nature politico-religieuse, très sensible au contexte international, dont l’une des
caractéristiques est de développer une analyse victimaire systématique de la situation des
musulmans dans le monde.
2 Sur ce point, voir notamment Pierre Conesa, La fabrication de l’ennemi, Robert Laffont, 2011.
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