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DE L’IMPORTANCE DU CHOIX DES TERMES
Les termes utilisés pour décrire les phénomènes qui font l’objet du
présent rapport doivent être utilisés avec précaution, c’est pourquoi votre
commission d’enquête souhaite ici apporter quelques précisions de
sémantique.
D’abord, l’utilisation, pour qualifier un certain type de terrorisme,
du terme « islamique » ou « islamiste », pose évidemment problème dès lors
que, comme l’ont souligné la plupart des intervenants entendus par votre
commission d’enquête, nombre de personnes qui se livrent à de tels actes ne
connaissent que très peu les principes et les traditions de l’Islam, tel qu’il est
pratiqué par des centaines de millions de personnes dans le monde. Par
« islamique » ou « islamiste » il faut donc seulement entendre, lorsqu’il s’agit
du terrorisme, « se réclamant de l’islam » et non pas « d’essence islamique ».
Dans le langage courant, le terme de « Jihad » (souvent orthographié
Djihad) est utilisé depuis quelques années pour désigner la lutte armée, la
« guerre sainte » qui serait menée au nom de l’Islam, et, en particulier, les
formes terroristes de cette guerre. Or le jihad désigne à l’origine, selon Gilles
Kepel1, un effort qui consiste à s’élever par davantage de piété sur l’échelle
de la perfection humaine. C’est alors un terme connoté positivement qui
évoque l’accomplissement de soi pour le bien au bénéfice de la société
musulmane. En un sens plus étroit, il existe toutefois une signification
politique et sociale, voire militaire, du terme, qui est souvent déclinée en
deux sous-catégories : le Djihad offensif et le Djihad défensif. Alors que le
premier légitime l’expansion de l’islam au Moyen-Âge et constitue un devoir
collectif, c’est-à-dire qu’il peut être accompli par une armée tandis que le
reste de la société continue à mener une vie ordinaire, le second est plus
contraignant puisqu’il constitue l’obligation individuelle, pour chaque
musulman, de défendre la terre d’islam lorsqu’elle est attaquée par des non
musulmans.
Ce dernier type de Djihad reste exceptionnel puisqu’il suspend tous
les autres devoirs, même religieux, au profit de la mobilisation pour la
défense de la communauté, et que sa mise en œuvre sans le discernement
nécessaire pourrait se traduire par la dissension ou la guerre civile (« fitna »)
des musulmans entre eux, au plus grand bénéfice de l’ennemi commun. Ce
djihad défensif doit ainsi être déclaré ou du moins approuvé par des
docteurs de la foi (ou oulemas) ayant une autorité et un rayonnement
suffisant pour emporter l’adhésion des croyants.
1
Gilles Kepel, Jihad, Pouvoirs n° 104, janvier 2003.