10.2.1.2.
Des atteintes à la liberté de communication
Les techniques de renseignement autorisées par la présente loi emportent aussi une
atteinte à la liberté de communication de l’ensemble de la population dont la gravité et
la réalité sont à reconnaître. Il est en effet désormais très largement établi que la mise
en place de dispositifs de surveillance porte une atteinte à la liberté de communication
non seulement des personnes qui en font l’objet mais aussi des personnes qui, alors même
qu’elles ne sont pas susceptibles d’être légitimement surveillées par des services de renseignement, s’autocensurent, changent leur mode d’expression ainsi que leurs habitudes
d’utilisation des techniques de communication et plus grave encore se restreignent dans
leur recherche d’informations 3 .
C’est ce lien direct entre la surveillance d’une part et les libertés d’opinion et de
communication d’autre part qui est mis en évidence par la CEDH dans son arrêt Klass
et autres c. Allemagne de 1978 :
« (...) la législation elle-même crée par sa simple existence, pour tous ceux auxquels on
pourrait l’appliquer, une menace de surveillance entravant forcément la liberté de communication entre usagers des services des postes et télécommunications et constituant
par là une « ingérence d’une autorité publique » dans l’exercice du droit des requérants
au respect de leur vie privée et familiale ainsi que de leur correspondance. »
En l’espèce, les requérants n’avaient pas été effectivement surveillés, mais leur requête
fut acceptée car ils étaient tout de même victimes de l’ingérence.
(CEDH, Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, no 5029/71, §41)
Par conséquent, et outre l’atteinte à la vie privée, ces mesures confèrent aux services de
renseignement un pouvoir démesuré pouvant conduire à restreindre l’exercice, par toute
personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis
son domicile — ce que garantit l’article 11 de la Déclaration de 1789. Eu égard à la
nature de cette liberté, de telles mesures ne sauraient être assorties de garanties efficaces
en dehors d’un contrôle juridictionnel.
10.2.1.3.
Des atteintes à la liberté individuelle
Enfin, la mise en œuvre de certaines techniques de surveillance relève d’une intrusion
d’une gravité sans précédent. Une surveillance quasi totale d’une personne, telle que les
mesures de renseignement autorisées le permettent, est de nature à porter atteinte à la
liberté individuelle des personnes ciblées.
À l’instar des procédures dérogatoires de la procédure pénale, les techniques de captation, de fixation, de transmission et d’enregistrement de paroles prononcées à titre privé
3. Voir à ce sujet deux études récentes :
1. Lee Rainie et Mary Madden. Americans’ Privacy Strategies Post-Snowden, Pew Research Center’s Internet & American Life Project, 16 mars 2015. Disponible à l’adresse : http://www.
pewinternet.org/2015/03/16/Americans-Privacy-Strategies-Post-Snowden/ et
2. Chris Chambers. The psychology of mass government surveillance, The Guardian,
18 mars 2015. Disponible à l’adresse : http://www.theguardian.com/science/headquarters/2015/mar/18/the-psychology-of-mass-government-surveillance-how-dothe-public-respond-and-is-it-changing-our-behaviour.
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