Loin d’être louée, l’institution des avocats spéciaux est ouvertement critiquée, à commencer par la House of Lords et par la doctrine britannique, notamment en ce que
« l’utilisation des procédures secrètes peut empêcher les requérants d’avoir connaissance
de toutes les allégations qui sont faites à leur encontre, ce qui a été critiqué en ce que les
parties ne seraient plus sur un pied d’égalité » 11 .
Si l’équilibre des parties est considéré comme indûment rompu là où les parties peuvent
être représentées par une personne habilitée, alors qu’en est-il de la situation où le justiciable ne peut pas être représenté par une personne habilitée ? A fortiori, la rupture
n’en est que plus grande. Étant encore une fois précisé qu’il ne s’agit pas que de l’accès
aux pièces du procès mais aussi de l’accès aux arguments de la partie adverse et enfin de
l’accès au référentiel juridique qui permettra d’apprécier la légalité des mesures dont les
justiciables pourraient faire l’objet.
Et le fait qu’aux termes de l’article L. 773-5 CJA, le juge administratif soit en mesure
de soulever tout moyen d’office ne peut en rien compenser cette aveuglement de la défense.
Le juge aura beau soulever tout moyen, son office n’est pas d’assurer la défense d’une
des parties mais uniquement de juger de la légalité des mesures qui sont portées à son
attention.
Le déséquilibre profond et disproportionné qui entache la procédure créée par les articles L. 773-1 CJA et suivants est d’ailleurs confirmé par la lecture de la décision Kennedy
contre Royaume-Uni du 18 mars 2010 de la Cour européenne des droits de l’homme (affaire no 26839/05). Dans cette affaire, la CEDH a « souscrit à la thèse du Gouvernement
[britannique] selon laquelle la divulgation de documents écrits et la désignation d’avocats
spéciaux étaient impossibles en ce qu’elles auraient empêché la réalisation de l’objectif
poursuivi, à savoir la préservation du secret sur la réalisation d’interceptions. » Mais il
est à relever que si la Cour a considéré la procédure qui lui était déférée comme conforme
à l’article 6, paragraphe 1 de la CESDH, ce n’est qu’après avoir relevé que « lorsque la
CPE [le « Investigatory Powers Tribunal »] donne gain de cause à un plaignant, il lui
est loisible de divulguer les documents et les informations pertinents en application de
l’article 6.4 de son règlement ». Soit une possibilité qui représente un minimum pourtant
absent dans la procédure ici instituée.
Il était pourtant loisible de compenser l’inaccessibilité du requérant aux audiences à
huis clos et aux écritures secrètes produites par l’administration en créant un « ordre
d’avocats spéciaux » jouissant d’un accès spécial aux procédures contentieuses liées aux
abus des services de renseignement et chargés de la défense des requérants 12 .
a fair trial, but they may not communicate with the appellant without the government’s permission and
they can never communicate about the secret evidence” http://www.europarl.europa.eu/RegData/
etudes/STUD/2014/509991/IPOL_STU%282014%29509991_EN.pdf, p. 22)
11. Traduction libre de “The use of CMPs might prevent claimants from being aware of all the allegations made against them, which has been criticised on the grounds that parties are no longer on an
equal footing.”, J. Jackson (2013), “Justice, Security and the Right to a Fair Trial : Is the Use of Secret
Evidence Ever Fair ?”, Public Law, 720-736, cité in id., p. 23).
12. Il est d’ailleurs à noter que le principe d’un accès privilégié de certains avocats aux procédures
administratives n’est pas étranger au Conseil d’État.
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