La procédure ici en cause devant le Conseil d’État viole indûment le principe d’une
procédure équitable garantissant l’équilibre des droits des parties. Alors que le requérant
ne sait pas quelles mesures ont été prises contre lui, l’administration, elle, le sait. Alors
que l’administration a accès à l’ensemble des pièces du dossier, le requérant, lui, n’a
accès à rien. Alors que l’administration aura accès à l’ensemble du corpus jurisprudentiel
pertinent par recoupement des mesures qu’elle aura mises en œuvre et des décisions
qui auront été adoptées par le Conseil d’État, le requérant, une fois de plus, n’aura
accès à rien. Il sera seulement informé qu’il a été victime d’une illégalité, sans qu’aucune
information claire et précise sur la nature de celle-ci ne puisse lui être communiquée,
puisque ces éléments seront couverts par le secret.
Au surplus, le requérant ne pourra pas accéder aux arguments développés par l’administration lors des audiences à huis clos (article L. 733-4). En somme, le requérant et son
éventuel représentant sont totalement aveuglés et démunis de tout moyen. Et personne
d’autre que l’administration et le juge spécialisé ne connaîtra le droit applicable aux mesures de surveillance. Les termes de l’article L. 773-3 du code de la justice administrative
selon lesquels « [l]es exigences de la contradiction mentionnées à l’article L. 5 sont adaptées à celles du secret de la défense nationale » sont donc destinés à rester lettre morte
puisque ces exigences ne sont aucunement adaptées mais anéanties.
11.3.1.1.

Aucune disposition ne permet de compenser efficacement la rupture
de l’égalité des armes

Le législateur était pourtant en mesure de remplir a minima son office en adoptant
des mesures destinées à compenser cette rupture de l’égalité des armes. En témoignent
des législations étrangères qui, bien que très critiquables sur de nombreux autres points,
ont au moins mis en place un système dédié à la représentation des justiciables dans
les matières comme le renseignement où le secret-défense peut prévaloir. Il en va ainsi
des procédures juridictionnelles de supervision des activités de renseignement instituées
au Royaume-Uni par le Justice and Security Act de 2013. Dans le cadre de la “closed
material procedure” instituée par l’article 6 du Justice and Security Act, les justiciables
sont représentés par des “special advocates” institués par l’article 9 de la même loi.
Le rôle et les pouvoirs des avocats spéciaux sont résumés comme suit par les auteurs
d’une étude commanditée par le Parlement européen : « les avocats spéciaux sont des
juristes habilités au secret qui sont autorisés à participer à des procédures fermées et à
représenter les requérants. Les avocats spéciaux diffèrent des avocats normaux représentant les requérants. Les avocats spéciaux sont autorisés à révéler à leurs clients un résumé
simplifié ou un aperçu des éléments de renseignement utilisés dans le cadre d’audiences
secrètes, tout en gardant les détails secrets. Les avocats spéciaux doivent défendre les intérêts de ceux qu’ils représentent et peuvent contester la production de certains éléments
sur le fondement qu’elle violerait le procès équitable, mais ils ne peuvent pas échanger
avec le requérant sans la permission du Gouvernement et ne peuvent jamais révéler de
preuves gardées secrètes. » 10
10. Traduction libre de “Special advocates are security-vetted lawyers who are permitted to participate
in CMPs and represent claimants. Special advocates differ from normal lawyers who represent claimants.
Special advocates are permitted to disclose to clients a simplified summary or ‘gist’ of intelligence material
used in secret hearings, while withholding specific details. The special advocates are instructed to protect
the appellant’s interests and may argue against admitting material on the grounds that it would prevent

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