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4. Le contrôle juridictionnel
a. Une révolution juridique
Comme l’a montré Bertrand Warusfel, « la vraie révolution juridique en
matière de contrôle des pratiques de renseignement réside en réalité dans la
nouvelle compétence spéciale donnée à une formation spécialisée du Conseil
d’État pour statuer " sur les recours formés contre les décisions relatives à
l’autorisation et à la mise en œuvre de ces techniques et ceux portant sur la
conservation des renseignements collectés " » (1).
Avant la loi du 24 juillet 2015, « dans les rares cas où le juge
administratif avait été saisi dans ce domaine, le secret de la défense nationale (…)
avait systématiquement été invoqué et bloquait l’office du juge, rendant le
contrôle juridictionnel théorique et illusoire en la matière ». C’est ce blocage, que
le Conseil d’État avait consacré dans son arrêt Coulon de 1955, que la loi du
24 juillet 2015 a permis de lever.
À l’inverse de ce qui a été fait dans d’autres pays, par exemple le
Royaume-Uni, le législateur français n’a pas décidé de créer une juridiction
spécialisée autonome mais, à l’inverse, de spécialiser, au sein de la section du
contentieux du Conseil d’État, une formation de jugement dite « formation
spécialisée » qui traite exclusivement de ces sujets (2).
L’article 773-2 du code de justice administrative indique que les membres
des formations spécialisées et leur rapporteur public sont habilités ès qualités au
secret de la défense nationale et qu’ils sont « autorisés à connaître de l’ensemble
des pièces en possession de la Commission nationale de contrôle des techniques
de renseignement ou des services » (3).
Cela a permis la mise en œuvre d’un véritable contrôle juridictionnel du
renseignement et a consacré le début d’une évolution majeure, celle de l’accès du
juge au secret. Comme le note Bertrand Warusfel, « Ce faisant, la France se
prépare progressivement à un changement de paradigme, en privilégiant le
contrôle par un juge, tiers impartial qui accède au secret, par rapport à une vision
stricte du principe du contradictoire qui aboutissait en réalité à ce que les
éléments de preuve secrets restent implicites et ne soient jamais officiellement
transmis aux juridictions ni discutées entre les parties. » (4)
(1) In Entre légitimation et contrôle : les logiques de l’encadrement juridique du renseignement, Le droit du
renseignement, L’Académie du renseignement, Bertrand Warusfel, pp. 80 à 82.
(2) In Le contrôle juridictionnel : un contrôle précisément défini par le législateur et confié à une formation
spécialisée du Conseil d’État, Le droit du renseignement, L’Académie du renseignement, Emmanuelle
Prada–Bordenave, p.133.
(3) Article 10 de la loi du 24 juillet 2015 précitée.
(4) In « Entre légitimation et contrôle : les logiques de l’encadrement juridique du renseignement », Le droit
du renseignement, L’Académie du renseignement, Bertrand Warusfel, pp. 80 à 82.