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Parmi eux, le coordonnateur national du renseignement et de la lutte
contre le terrorisme a souligné que cette jurisprudence, si elle devait être
confirmée, fragiliserait considérablement notre dispositif de renseignement –
sans parler du domaine judiciaire, également très affecté. Il a cité l’exemple des
Suédois, concernés au premier chef par l’arrêt Tele2 Sverige AB, qui ont d’ores et
déjà arrêté toute poursuite en matière de pédopornographie sur internet à la suite
de cette décision. En effet, les services de renseignement risquent de perdre une
grande capacité de travail : ils n’ont ni le temps matériel ni la ressource pour
se passer de la possibilité de conserver des données.
Alors que le cadre de la loi du 24 juillet 2015 repose sur un équilibre
entre protection de la vie privée et défense des intérêts fondamentaux de la nation,
la CJUE s’est placée du seul point de vue des droits individuels. Le cadre légal
français est au plus haut niveau, parmi les droits nationaux des États membres
de l’Union européenne (1) : peu d’autres pays disposent d’une autorité de
contrôle indépendante ayant un accès permanent et complet aux locaux des
services de renseignement telle que la CNCTR. Ainsi, le directeur de la DGSE,
M. Bernard Émié, a rappelé lors de son audition que la CNCTR effectuait au sein
de sa direction plus de trente visites de contrôle par an – un contrôle portant sur
les données collectées, les transcriptions, les extractions et la traçabilité de
l’information. Et comme nous l’expliquons en première partie de ce rapport, les
services de renseignement sont soumis non seulement au contrôle de la CNCTR
mais également à une multiplicité d’autres contrôles, qu’il s’agisse de la CNIL,
de la DPR, du Conseil d’État ou, sur le plan interne, du contrôle hiérarchique du
chef de service sur ses subordonnés et de l’inspection générale des services de
renseignement.
Enfin, les services de renseignement extérieurs, en particulier la DGSE,
prennent des risques importants sur les territoires étrangers et font face à des
adversaires désinhibés, clandestins et qui font fi du droit international. Il
semble donc impératif de ne pas faire combattre les services de renseignement les
mains liées derrière le dos. Les moyens dévolus aux services sont une garantie de
l’État de droit. Il est capital de ne pas les en priver.
3. Une décision ayant suscité plusieurs questions préjudicielles des
juridictions nationales

La décision Tele2 Sverige AB a suscité de très nombreux renvois
préjudiciels de juridictions nationales, ce qui est inédit.
S’agissant de la France, le Conseil d’État a été saisi par plusieurs
associations de recours tendant à l’annulation ou à l’abrogation de quatre
décrets (2) pris pour l’application des articles L. 851-1 à L. 851-4 du code de la
(1) Cf., en troisième partie du rapport, l’analyse comparative des droits du renseignement des différents États
membres de l’Union européenne.
(2) Il s’agit du décret n° 2015-1185 du 28 septembre 2015 portant désignation des services spécialisés de
renseignement, du décret n° 2015-1211 du 1er octobre 2015 relatif au contentieux de la mise en œuvre des

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