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nature disproportionnée en l’absence des garanties précitées. Sous réserve d’une
appréciation par la CNIL des cas d’espèce qui lui seraient soumis et si les
réticences des services de renseignement eux-mêmes sont levées à l’égard du
partage des informations dont ils disposent, des interconnexions plus
approfondies peuvent être envisagées. Le partage d’informations permis par de
telles interconnexions pourrait ainsi couvrir plus de données que la seule
existence ou non d’une ou plusieurs personnes dans les traitements consultés,
voire l’ensemble des données qui leur sont relatives et qui sont enregistrées dans
ces traitements. Dans un tel cas, des garanties devraient être apportées : caractère
ponctuel des opérations d’interconnexions réalisées, motivation expresse,
suppression des éléments non pertinents, durées de conservation limitées, etc.
La mission d’information formule une proposition
l’interconnexion des fichiers au V de la troisième partie du rapport.
relative
à
II. LA JURISPRUDENCE EUROPÉENNE A UNE PORTÉE MAJEURE SUR LES
LÉGISLATIONS NATIONALES ET SUR L’ACTIVITÉ DES SERVICES DE
RENSEIGNEMENT
Parallèlement à l’enjeu que représentent, pour les services de
renseignement, les évolutions technologiques décrites supra, le droit français du
renseignement doit tenir compte d’un second enjeu : celui de la jurisprudence
européenne. Il convient de distinguer, au sein de cet ensemble, la jurisprudence de
la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de celle de la Cour de justice
de l’Union européenne (CJUE), tant leurs effets sur le droit du renseignement
diffèrent.
De fait, s’il est indéniable que la jurisprudence de la CEDH fait évoluer au
fur et à mesure le droit des États européens dans un sens protecteur du droit au
respect de la vie privée, cette jurisprudence sur la « surveillance de masse »,
élaborée par étapes au cours d’une quarantaine d’années, semble prendre en
compte, par-delà les différences d’organisation nationales, les contraintes
opérationnelles qui pèsent sur les autorités étatiques, et en particulier sur leurs
services de renseignement. C’est le sentiment qu’ont eu les membres de la mission
d’information lors des auditions qu’ils ont menées auprès des différents chefs de
service impliqués dans la politique publique du renseignement (A).
En revanche, la jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union
européenne – juridiction dont la protection des droits de l’homme ne semble pas
être le « cœur de métier » – inquiète bien davantage les membres de la mission
d’information. Nous n’hésiterons pas, et nous expliquerons pourquoi plus avant, à
qualifier la décision Tele2 Sverige AB rendue par la CJUE le 21 décembre 2016 de
véritable hold-up jurisprudentiel et ses conséquences possibles en droit interne,
d’épée de Damoclès pour les services de renseignement. De fait, cette décision, si
elle devait être appliquée à la lettre par les autorités nationales, entraînerait une
remise en cause de l’usage de toutes les techniques de recueil de renseignement
qui ne sont pas mises en œuvre en temps réel. C’est dire l’impact de ce droit