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singulièrement avec les pratiques étrangères : « Pour les Allemands, servir le
renseignement c’est faire un métier de seigneur ; pour les Anglais, c’est une
activité de gentleman ; dans l’armée israélienne, les chefs d’état-major sont
pratiquement tous issus du deuxième bureau ; dans l’ex-URSS, le KGB et le GRU
ont drainé l’élite des cadres ; [un] président des États-Unis [G. Bush senior] [a
été] l’ancien directeur de la CIA » (1) ? Sans doute restons-nous dans ce domaine
marqués par une morale intellectuelle héritée du siècle des Lumières. Montesquieu
ne prétendait-il pas que « l’espionnage serait peut-être tolérable s’il pouvait être
exercé par d’honnêtes gens ; mais l’infamie nécessaire de la personne peut faire
juger de l’infamie de la chose » (2).
La commission des Lois ne partage évidemment pas un tel jugement, elle
pour qui le renseignement constitue une activité essentielle à la protection d’une
démocratie. Il s’agit seulement d’un processus, en amont de toute décision
stratégique, « par lequel des informations spécifiques importantes pour la sécurité
nationale sont demandées, collectées, analysées et fournies » (3).
Mais si son utilité ne saurait être discutée, en revanche sa légalité peut
l’être : un État de droit peut-il couvrir des actions illégales au nom des intérêts
supérieurs de la Nation ? N’est-ce pas la vocation même de l’appareil de
renseignement étatique, à l’origine créé pour apporter sa contribution à un effort
de guerre, que de fonctionner dans la clandestinité en recourant le cas échéant à
des moyens illicites ?
De même, faut-il vraiment accepter dans une société démocratique « que
les méthodes des services de renseignement et de sécurité, pour autant qu’elles
demeurent exceptionnelles et encadrées, ne se conforment pas entièrement aux
standards internationaux, notamment en matière de transparence et de respect des
lois locales » (4) ? Comment protéger la démocratie contre ses ennemis de
l’intérieur comme de l’extérieur, sans la détruire pour autant ? Le propre de l’État
n’est-il pas d’assurer la sécurité des citoyens tout en veillant parallèlement à
préserver la liberté de la Nation ?
En conséquence, la mission a structuré sa réflexion autour de trois axes :
l’organisation de notre appareil de renseignement, le cadre juridique régissant les
services et le contrôle, notamment parlementaire, auquel ceux-ci sont soumis.
Ainsi le champ d’analyse a porté sur ce qu’il convient depuis 2009
d’appeler la « communauté française du renseignement ». Parmi les six services
concernés, trois dépendent du ministère de la Défense : la Direction générale de la
sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement militaire (DRM), la
Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) ; deux du
ministère des Finances : la cellule de traitement du renseignement et action contre
(1) Jean Pichot-Duclos, Pour une culture du renseignement, Défense nationale, mai 1992, p. 17.
(2) Montesquieu, L’esprit des lois, Paris, Belin, 1917, p. 17.
(3) Philippe Hayez, « Le renseignement : techniques, pratiques et organisations », Questions internationales,
n° 35, janvier- février 2009, p. 8.
(4) Philippe Hayez, « Pour une lutte antiterroriste éthique », Le Monde, 31 octobre 2006.

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