Contribution de Bénédicte FAUVARQUE-COSSON
L’Internet déstabilise les catégories juridiques traditionnelles. Les données transcendent la dichotomie public/privé.
Contre la toute-puissance du marché, un garde-fou est indispensable, y compris en droit privé, branche du droit qui s’est constitutionnalisée : c’est la méthode des lois de police, qui permet d’écarter la règle
de conflit de lois et de déterminer unilatéralement le champ d’application d’une loi. L’unilatéralisme est surtout utilisé là où les intérêts publics
sont concernés 1. Ainsi par exemple, en droit fiscal, douanier, pénal, l’État
se préoccupe uniquement de l’application des lois qu’il édicte pour ses
objectifs propres : réduire le déficit budgétaire, réprimer les crimes ou
délits, assurer la sécurité sur son territoire 2. On dénombre beaucoup
de lois de police en droit de la concurrence, du travail, de la sécurité
sociale, mais aussi en droit des contrats et des sociétés. L’évolution libérale des rapports juridiques dans une économie mondialisée explique
l’essor des lois de police, comme un contrepoids. Les États reviennent
sur la scène à travers les lois de police qu’ils édictent pour protéger leur
intérêt étatique ou ceux d’une catégorie de personnes (par exemple, les
consommateurs) 3.
Le plus souvent, la règle elle-même ne précise rien. Il revient alors
au juge de dire si la disposition législative est une loi de police et s’applique donc en fonction de ce qu’il estime être le but et la volonté d’application de la règle, sans passer par le détour de la règle de conflit de lois.
Pour identifier ces lois, le juge est guidé par la définition de Phocion
Francescakis : « Lois dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale, ou économique du pays », qui
a inspiré le législateur européen dans l’article 9 du règlement Rome I sur
la loi applicable aux obligations contractuelles : « Une loi de police est
une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays
pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation
politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à
1) On qualifie d’unilatéraliste toute méthode qui raisonne en termes de détermination du
champ d’application des lois. L’expression a été forgée à la fin du xixe siècle, contre la
méthode des règles de conflit bilatérales, à une époque où le conflit de lois était envisagé
comme un conflit de souverainetés.
2) B Audit et L. d’Avout, Droit international privé, Economica, 2014, p. 159. En droit fiscal,
un État ne fixe les critères d’exigibilité que de ses propres impôts (sous réserve de l’existence d’accords par lesquels les États organisent une certaine coopération entre eux, tels
des conventions d’entraide fiscale). Si la situation se localise hors du champ d’application
de la loi donnée, il ne s’en préoccupe pas : la méthode des conflits de lois n’est pas mise
en œuvre et les lois étrangères ne sont pas appliquées par les organes nationaux. Dans le
Code pénal de 1992, les dispositions sur « l’ application de la loi pénale dans l’espace » (art.
L. 113-2 s.) posent uniquement les critères d’application de la loi française. Ces critères sont
la commission de l’infraction sur le territoire ou en un lieu assimilé, ou par un national à
l’étranger ou au détriment du national, ou les infractions qui portent atteinte à des intérêts
nationaux fondamentaux.
3) Ces règles sont aussi connues sous le nom de lois d’application immédiate ou lois d’application nécessaire, ou encore, de lois « internationalement impératives ».
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