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En outre, nous éviterons à la France d’être condamnée par la Cour
européenne des droits de l’homme (CEDH) pour cette carence législative. Elle l’a
été le 24 avril 1990, ce qui avait incité le gouvernement Rocard à légiférer, en
juillet 1991, sur les interceptions de sécurité. Elle l’a encore été, le 30 mai 2005,
pour avoir sonorisé des appartements sans base juridique suffisamment précise.
Une loi sur le renseignement était donc indispensable.
Aux termes de l’article 34 de la Constitution, seule la loi peut fixer des
règles en matière de garanties fondamentales accordées aux citoyens pour
l’exercice des libertés publiques. En outre, seule la loi peut sortir les services
d’une opacité qui fait du renseignement un objet méconnu.
Les services de renseignement ont beau être de toutes les époques, notre
pays ne les a pas intégrés à sa culture. C’est au XVIIe siècle qu’est née l’étrange
relation qui unit la France aux services de renseignement. Napoléon, qui avait
souvent recours aux espions, avait peu de considération pour eux. Si le monde
anglo-saxon tient leurs activités non seulement pour légitimes mais pour
précieuses, car elles défendent la souveraineté, notre pays les perçoit, sauf en
période de conflit armé, comme perfides ou infamantes. Qu’elle se souvienne de
Fouché, du Rainbow Warrior ou des écoutes du Canard enchaîné, notre mémoire
collective les associe à la trahison ou à des opérations peu avouables. Notre
géographie n’a pas fait du Français un conquérant ni même un curieux. « La
curiosité est un vilain défaut » : l’adage montre la frontière que nous établissons
entre la connaissance, légitime et valorisante, et le renseignement, méprisable et
illégitime.
Mais la situation change. Hier, les services de renseignement étaient tenus
pour des outils à la disposition de l’État. Désormais, ils apparaissent pour ce qu’ils
sont : des moyens de protéger les citoyens, des administrations régaliennes dédiées
à la garantie des libertés individuelles et collectives.
À travers les amendements que je vous présenterai, je vous propose de
bâtir un contrôle administratif. Tel est le sens de la naissance de l’inspection du
renseignement, créée par le président de la République, en juillet 2014, puis du
contrôle parlementaire, élargi par la loi de programmation militaire, qui donne
enfin à la délégation parlementaire au renseignement, laquelle ne possédait qu’un
pouvoir de suivi, un pouvoir de contrôle de la politique publique de
renseignement. Il fallait acclimater deux mondes – le pouvoir et les services – et
les faire se rencontrer. Désormais, notre parlement, qui contrôle les activités de
renseignement, exerce les mêmes compétences que tous les parlements
démocratiques du monde.
Il existe donc, d’un côté, le contrôle hiérarchique, à la discrétion des
ministres, de l’autre, le contrôle parlementaire. Il manquait encore le plus
important : ce que nous avons appelé, M. Verchère et moi, le contrôle de légalité
et de proportionnalité, qui permet de s’assurer que les moyens engagés sont
proportionnés à la menace qu’ils sont censés combattre.