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3. Des rustines empiriquement posées
Les services de renseignement disposent aujourd’hui de moyens juridiques
morcelés, issus d’une lente sédimentation de dispositions législatives, sans cadre
général.
a. La loi du 10 juillet 1991 : le cadre juridique des interceptions de
sécurité
À la fin des années soixante-dix, comme dans les années quatre-vingt,
l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme servit de fondement
à plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce furent les
arrêts Klass c. République fédérale d’Allemagne du 6 septembre 1978, Malone
c. Royaume-Uni du 2 août 1984, l’arrêt Leander c. Suède, 26 avril 1987 et Schenk
c. Suisse, 12 juillet 1988.
Cette jurisprudence dessina peu à peu le cadre juridique des conversations
téléphoniques, de fait incluses dans les notions de « correspondance » et de « vie
privée » contenues à l’article 8 de la Convention. Dès lors, leur interception
comme leur enregistrement par l’autorité publique constituaient une ingérence
dans l’exercice du droit garanti par ledit article, qui pour être conforme à la
Convention, devait répondre à trois exigences :
– être prévue « par la loi », cette dernière, quelle que soit sa source, devant
être publiée ou aisément accessible, et contenir le régime en vigueur, les
procédures et les garanties applicables ;
— avoir pour fondement l’un des objectifs limitativement énumérés par
l’article 8-2 de la Convention;
— être, « nécessaire, dans une société démocratique », à la poursuite d’un
tel objectif, à savoir répondre à un besoin social impérieux et respecter le principe
de proportionnalité. C’est en 1990 que cette jurisprudence concerna la France à la
suite d’une saisine par MM. Huvig et Kruslin, qui n’avaient pu convaincre les
juges français, y compris la Cour de cassation, que les écoutes téléphoniques
décidées par un juge d’instruction dont ils avaient fait l’objet méconnaissaient
l’article 8 de la Convention. Par deux arrêts rendus à l’unanimité le 24 avril
1990 (1) la Cour européenne des droits de l’homme estima que le droit français,
écrit et non écrit, n’indiquait pas avec assez de clarté l’étendue et les modalités
d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine considéré et
condamna notre pays.
(1) Kruslin c. France; époux Huvig c. France. Sur ces arrêts lire Renée Koering-Joulin, « De l’art de faire
l’économie d’une loi (à propos de l’arrêt Kruslin et de ses suites) », Dalloz, n° 27, 26 juillet 1990,
p. 187-189.